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À La Rochelle, il n'y a pas que des pucelles...
création les 28 et 29 novembre 1986 à la Maison de la culture de La Rochelle
Derrière ce titre à la rime joyeuse, hybridation d’une chanson de marin – « Les Filles de la Rochelle » –, et d’un chalutier mouillant dans le port de La Rochelle – la « Pucelle des mers » –, Régine Chopinot livre un « conte cruel » d’inspiration maritime, comme première création en tant que directrice du Centre chorégraphique régional de Poitou-Charentes à La Rochelle.
Elle fait appel ici pour la première fois à un décorateur, Didier Perréton, dont le dispositif contribue à la narration. Sur la scène, une toile brillante pendue sous les cintres reflète les danseurs et les fait basculer de 45 degrés : « La nappe miroitante au-dessus des danseurs en noir du premier tableau ? (…) plutôt les champs de bataille, l’époque des guerres où les chevaux soulevaient de terre des tourbillons de fumée. Un peu le Cuirassé Potemkine… » [1]. Ce dispositif sera développé à une échelle monumentale dans la scénographie d’« ANA » (1990). Au plancher est dessinée une carte en vert et ocre, « comme dans les manuels scolaires » précisera la chorégraphe, tandis que des murs en cartons se dressent et dessinent une chambre dans laquelle siègent araignée et bateaux télécommandés, évocations de l’univers peuplé de chimères d’une chambre d’enfant.
Dans ce ballet bestiaire, vaguement narratif, Régine Chopinot interprète une Miss Loyal qui orchestrerait un déluge moderne : « Je joue un peu le rôle de la destinée » explique-t-elle dans une interview donnée à Lise Brunel, « celle qui fait la transition entre la destruction de la société et la découverte des animaux, celle qui intervient pour la fin du monde » [2]. Les huit danseurs transformés en animaux par des coiffures-masques qui viennent parachever les combinaisons munies de queues et d’ailes costumes imaginées par le couturier Jean Paul Gaultier – chacun adoptant le costume correspondant à son signe astrologique chinois – partent pour un monde meilleur, fuyant le chaos à l’œuvre.
Profondément marquée par le désastre de Tchernobyl et les attentats qui touchèrent à l’époque la France, Régine Chopinot se saisit des légendes du pays de l’Aunis et de Saintonge et de l’univers impitoyable qu’elles évoquent – celui des marins en prise avec l’océan qui les nourrit, les porte, les berce et les anéantit, mais aussi avec les orages et les pilleurs d’épaves –, pour nous alarmer : seuls les animaux survivront.
[1] Interview avec Lise Brunel, « La Pucelle des mers », Le Matin, 12 décembre 1986.
[2] Interview avec Lise Brunel, op. cit.
Extrait de programme
« C’est un conte cruel sur les pires aspects de la modernité. Sur tout ce qui a fait les « unes » sanglantes et révoltantes, insensées et absurdes, de l’actualité de ces derniers mois. Un regard sur un monde en pleine phase de pourrissement collectif. Comme souvent pour « singer » les humains, des personnages sont ici des animaux. Neuf animaux pas plus bêtes que nous qui s’embarquent sur des cartons-pâtes pour atteindre un « nouveau monde ». Péripéties, pirouettes, orages et ambiance tumultueuse de fin du monde humain… Qui, parmi ces rescapés, atteindra, aura mérité d’atteindre, la nouvelle terre de salut ? Existe-t-elle? Conte moral, coup de colère aussi… »
Aline Apostolska, programme du Cargo, Grenoble (février 1987)
Dernière mise à jour : février 2013