Ce contenu contient des scènes pouvant choquer un public non averti.
Souhaitez-vous tout de même le visionner ?
Wall Dancin’/Wall Fuckin’
Un grand plateau, que divise en deux un mur. Deux personnes, chacune dans son espace, liées entre elles par cela même qui les sépare : un mur.
Un mur érigé́, ça vous évoque… ? Une limite, une séparation, une frontière, un symbole (phallique, bien sûr), un habitat, une sculpture minimaliste, ou peut-être plus simplement, mais pas moins bizarrement, un objet que l’on considèrerait comme une membrane – à la fois mouvante et organique, figée dans son immobilité mais poreuse par ce qu’il lui adviendra ? Le mur : comme paroi, c’est aussi une partie d’édifice vouée à sa propre ruine. Que toute chose aille à sa ruine ?
Gardons pour l’instant cette dernière proposition – elle nous permettra de jouer avec différentes temporalités, de conserver l’espace en le modifiant, en l’altérant. C’est le lieu même du théâtre qui est interrogé, son cadre et ses conditions de réception – ainsi, des attentes liées aux genres artistiques qu’il accueille (cette fois-ci, la danse : wall dancin’). En l’occurrence, l’opacité́ du mur fixera d’emblée une limite à l’étendue du regard, quel qu’il soit, jusqu’à sa confiscation, selon la place occupée par le spectateur. On ne peut interroger l’espace singulier occupé par le spectateur, sans questionner la naïve croyance dans les vertus démocratiques de l’architecture contemporaine de nos théâtres : toujours un point aveugle, toujours un obstacle. Virerons-nous les fauteuils ? Pour citer de mémoire Samuel Beckett : « Ce n’est pas l’espace qui sépare les corps, mais les corps qui séparent l’espace. » Pour engager une distorsion temporelle, nous utilisons, outre les effets de décalage produits par le dispositif vidéo et la répétition de certaines propositions, des images tournées hors scène ; certaines de ces situations sont rejouées sur le plateau, traitées jusqu’à leur dissolution, voire leur destruction. Par strates, le mouvement est décomposé comme une musique samplée. Telle action (manger, trembler, etc.), identique au départ, est peu à peu déviée, et comme transfigurée. Ici, c’est la construction du regard que le spectateur porte sur le mouvement, et les occurrences de pensée qu’elle provoque, qui importent. Qu’est-ce que l’on regarde, qu’est-ce que l’on attend ? Ou devrait-t-on dire : qu’est-ce qui nous regarde ?
Un mur, comme élément d’architecture, est un fondement des systèmes de production de valeurs sociales, culturelles et sexuelles (wall fuckin’) – qui ne vaut que par ce qu’il abrite ou re-dé-couvre. Il s’agit de miner cette autorité́ par déplacement, par répétition, par disparition. Ou par touches obsessionnelles faire apparaître la quête de deux êtres qui vivent ensemble tout en étant séparés. Séparés par une membrane, par une peau, ou par un mur ; séparés, mais aussi réunis. La question est posée : comment être (encore) ensemble, comment danser (parfois) ensemble.
Alain Buffard [novembre 2002]