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Si c’est une fille - Visite chorégraphiée
« Nous femmes, nous voulons être ce que nous sommes, et ne point être ce qu’on nous fait ».
– Maria Deraisme, 1869 –
Accompagnée d’une partie de l’équipe de sa prochaine création Si c’est une fille, Marion Alzieu propose une plongée dans la question des corps et leurs représentations dans diverses cultures aujourd’hui. Disposer d’un corps féminin n’est pas anodin, la société attribue aux femmes des injonctions et obligations différentes selon la culture ou l’appartenance.
Choisissant la salle de l’ancienne chapelle, Marion et ses danseurs tissent une performance à partir de différentes esthétiques chorégraphiques telles que la danse contemporaine, la danse hip-hop, les techniques de marionnettiste. Les œuvres présentes deviennent alors personnages à part entière de la performance, à la fois sources d’inspiration et compagnons de danse.
Certaines emblématiques, comme l’ »Eve » de Rodin, « La folle danseuse » de Rik Wouters ou encore « la Vénus au collier » d’Aristide Maillol, dialoguent avec les danseurs aux corps alors perméables à la puissance des statues de bronze, de plâtre.
Comment incarner la puissance de la sensualité ? Comment magnifier la beauté de la pudeur, de la vulnérabilité ? Comment faire corps à corps avec des mouvements, postures figés ?
Dans une gestuelle empreinte à la fois de subtilité et d’une énergie terrienne, cette performance traduit l’envie inconditionnelle de célébrer la femme, célébrer les corps, rendre compte de notre puissance.
Pour voir et en savoir plus sur les quatre œuvres du musée des Beaux-Arts de Lyon citées dans ce texte, utiliser les liens hypertexte.
Jean-Pierre Cortot(1787 – 1843), Pandore, 1819, bronze.
Auguste Rodin (1840-1917), Ève, 1881, bronze.
Rik Wouters (1882 –1916), La Vierge folle, dit aussi La Folle danseuse, 1909-1912, bronze. Vous trouverez ici un commentaire sur une autre version en bronze de l’œuvre de Lyon.
Aristide Maillol (1861-1944), Vénus au collier, 1918-1928, bronze.
Des arts plastiques, la sculpture est sans doute le plus proche de la danse : si elle fige le mouvement, elle s’en rapproche par son rapport à l’espace. C’est une des nombreuses raisons expliquant le choix de Marion Alzieu de réaliser sa carte blanche dans l’ancienne chapelle du musée. Cet espace, tout comme le jardin visible dans l’introduction de la vidéo, est dédié à la statuaire française du XIXe siècle. On y découvre un grand nombre de corps féminins grandeur nature, non sans lien avec la thématique de la création Si c’est une fille de Marion Alzieu
La chorégraphe a apprécié la variété des couleurs et textures en présence. En effet, hormis le bois, tous les matériaux utilisés en sculpture sont représentés dans la chapelle : terre cuite, plâtre, pierres dont le marbre, et bronze. Ces matières réagissent différemment à la lumière (absorbée ou réfléchie), créant ainsi des ambiances différentes.
Elle a également été particulièrement sensible à la variété des styles. Ainsi les nus hiératiques de la Vénus de Maillol ou de la Pandore de Cortot, remarqués par Marion Alzieu, sont des nus de la tradition classique : peu expressifs, lisses, ils incarnent un idéal. De l’autre côté de la tradition classique, l’Ève de Rodin est un symbole de modernité. Le corps d’Ève est plus naturel et très expressif. De plus, à l’instar de son contemporain Claude Monet dont les touches sont visibles sur les œuvres, Rodin laisse apparentes des traces du processus de création comme les traces d’outils. Cet aspect « non fini » participe de l’expressivité de l’œuvre. Rappelons que l’œuvre en bronze fut dans un premier temps réalisée en plâtre par Rodin.
Le travail proposé par Marion Alzieu et ses danseurs autour d’Ève nous permet également d’évoquer un lien très fort entre la danse et le monde muséal : la scénographie. Ève, chef d’œuvre du musée, est exposée de manière à être vue et mise en valeur : en hauteur, isolée et entourée d’œuvres disposées symétriquement, dont la blancheur contraste avec le noir du bronze de Rodin. Inspirée par l’isolement de la statue, Marion Alzieu a imaginé ce très beau final dans lequel les danseurs, dans un tourbillon autour d’Ève, portent sa vulnérabilité.
Enfin, les œuvres de la chapelle datant du XIXe siècle, elles sont figuratives et, pour une grande part, narratives. Marion Alzieu ne pouvait qu’être touchée par le sens de deux œuvres d’époques différentes représentant Pandore et Ève. Ces deux figures féminines, liées à la tradition méditerranéenne, l’une mythologique, l’autre biblique, incarnent la faute originelle et font ainsi porter à la femme la responsabilité des malheurs de l’Homme. Soulignons que c’est le positionnement de ces deux œuvres, chacune à une extrémité de la chapelle, qui a inspiré à Marion Alzieu ce cheminement dans tout cet espace.
Pour finir avec une note plus positive, La Folle danseuse de Rik Wouters représente simplement la joie. L’absolue liberté de ce corps en déséquilibre est un hommage du sculpteur à la grande danseuse américaine Isadora Duncan. L’œuvre nous rappelle que de nombreux artistes furent inspirés par la danse (Rodin, Degas, etc). Elle nous permet également d’évoquer les émotions, matériau essentiel des plasticiens et chorégraphes. Après des jours de travail pour retrouver la liberté exprimée par la danse d’Isadora Duncan, le modèle de Wouters, son épouse, excédé, eut un ultime mouvement d’épuisement et de colère : le mouvement était trouvé, l’artiste n’eut qu’à modifier l’expression du visage. Cette anecdote nous rappelle que des émotions contraires peuvent être très proches, et par là, la complexité et la beauté du travail des artistes. Marion Alzieu, tout en exploitant la rage de ses danseurs sur la condition des femmes tient à évoquer une force tranquille, une douceur féminine : elle fait ainsi alterner dans sa chorégraphie des mouvements très contrastés. Son ambition est de toucher le public par l’émotion, de créer chez le spectateur un mouvement, une réflexion, de manière subtile, sans aucune injonction.