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Sans Objet
Avec « Sans objet » j’ai voulu introduire sur scène un robot industriel ayant la force de déplacer des éléments de décor aussi bien que des acteurs. La machine devient un protagoniste à part entière.
L’art ne progresse pas, n’est pas performant, ne se mesure pas, ne prouve rien. Au point de départ d’un spectacle je cherche toujours à répondre à deux questions : «De quoi s’agit-il ? Et à quoi bon ?» Dans le même temps j’imagine l’espace scénique. La scénographie a toujours été centrale dans mes spectacles. Elle n’a pas une fonction décorative, mais une fonction d’action. Elle agit sur l’acteur, et réciproquement. La scène n’est-elle pas l’art de l’espace ? Avec « Sans objet » j’ai voulu introduire sur scène un robot industriel ayant la force de déplacer des éléments de décor aussi bien que des acteurs. La machine devient un protagoniste à part entière. Il s’agit d’un bras articulé, mécanique. On va l’utiliser comme une «marionnette» -un être 100 % technologique- dans son dialogue avec un homme contemporain ordinaire. Ces personnages sont obligés de cohabiter sur scène, dans l’impossibilité de s’ignorer. C’est comme si l’homme d’aujourd’hui était composé de deux facettes : il est encore du côté de l’humain, mais de plus en plus dans la technologie. Ce rapport entre l’homme et la machine est en pleine évolution. Il ne s’agit pas de le juger, mais de le constater. Le robot est arrivé dans le monde industriel dans les années 70 ; l’idée est de l’extraire de son milieu en le plaçant sur scène. Ainsi, bascule-t-il dans le champ de l’art, de l’inutilité. Il devient «sans objet», acteur. De tout temps on a tenté de franchir la frontière du vivant et du non vivant au travers de l’imaginaire : ainsi en est-il des objets auxquels on prête une âme, du mythe de la statue qui s’anime, ou encore de bien des ressorts de la science fiction… Cette perspective m’intéresse dans la mesure où elle devient de plus en plus concrète. À l’heure actuelle ne mélange- t-on pas le biologique et l’électronique, soit du vivant et de l’inerte ! On observe un double mouvement : le robot tend à s’humaniser, et l’homme à se robotiser. L’humain risque de devenir «moins bien» que le robot. La performance est au cœur de cette question. L’homme sera contraint de se «technologiser» s’il veut rester dans la course. Autrefois, pour mettre à l’épreuve ses capacités, il se mesurait à l’animal. Aujourd’hui le défi est dans la technologie. En robotique les Japonais ont quasiment vingt ans d’avance sur les Européens et j’aurais pu m’aventurer du côté de leurs derniers développements. J’ai pourtant choisi ce vieux robot, basique, qu’est le robot industriel pour remonter à la source de cette évolution technologique. Ce qui m’intéresse, c’est ce bras articulé, sa puissance. Olivier Alenda et Olivier Boyer sont les interprètes d’un homme contemporain ordinaire confronté à l’emprise d’un robot.
La mise en œuvre technique est toujours importante dans mes spectacles. En même temps, cela reste très artisanal, le robot lui-même est simple. Et puis je suis entouré d’une équipe technique fidèle et d’une grande compétence à Toulouse : sans elle, j’aurais du mal à réaliser mes créations. « Sans objet » peut signifier «inutile». Ce titre renvoie aussi à la place laissée vide dans un champ informatique : l’intitulé «sans objet» d’un e-mail, l’indéterminé… Et si dans la surprise de sa danse avec l’homme, le robot déplacé de son contexte industriel -devenu fonctionnellement inutile-, nous rappelait à la nature de l’art : être absolument sans objet?
Propos extraits d’un entretien de Marie Bertholet pour le Théâtre Vidy-Lausanne, juillet 2009