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San (Lointain)
Avec cet hommage à Oskar Schlemmer, Catherine Diverrès propose une puissante réflexion sur la surface, et quitte les états intérieurs qui ont occupé jusqu’ici sa création.
Conçue en 2001 à la suite d’une commande passée par le Culturgest de Lisbonne, San (Lointain) constitue un hommage à Oskar Schlemmer, homme de peinture, mais aussi danseur, sculpteur, chorégraphe, homme de théâtre. De ce point d’ancrage foisonnant et pluridisciplinaire, Catherine Diverrès propose une puissante réflexion sur la surface, et mène ici une expérience radicalement différente de celles, davantage concentrées sur les états intérieurs, menées dans ses autres travaux.
Au moment de sa création, San (Lointain), dansée par trois danseurs hommes, est régulièrement présentée en second volet d’un diptyque masculin/féminin introduit par la pièce Voltes, laquelle s’appuie sur des interprètes exclusivement féminines.
Dans San (Lointain), la présence récurrente d’un rectangle blanc sur le plateau, en tant qu’il serait donné à percevoir comme référence à un tableau, semble ici proposer un cadre à la danse. De fait, ce cadre induit un rapport très fort à la picturalité des corps en mouvement, et poétise le recours constant à une géométrique du geste. Un jeu s’introduit alors progressivement avec les différentes échelles de perception dont dispose le spectateur, du fait d’une utilisation quasiment maniaque de l’éloignement et du rapprochement des corps dansants avec les objets présents dans la scénographie. Le rapport au lointain et au proche peut ainsi opérer une confusion perceptive, opérant par là un gain de vide vertigineux. De ce fait, le projet de la pièce semble tout à fait dévolu à ce que l’on puisse se croire, se sentir, se penser presque dans un tableau.
Le recours à une bande sonore électro-répétitive, évoquant une mécanisation des éléments, voire leur industrialisation, contribue encore à accélérer le bouleversement perceptif. En effet, les sons utilisés éloignent de fait la possibilité de toute perception organique, et orientent le regard vers une mathématisation de l’espace. Ainsi, peut-on évoquer, à propos de San (lointain), le projet d’un croisement chiasmatique des sens – dans la lignée de phénoménologie de la perception engagée par Merleau-Ponty puis développée par Michel Bernard [1] –, où les matières sonores interagiraient sur les éléments picturaux.
« C’est la première fois que j’accepte une commande et l’exercice périlleux d’un hommage, sachant que la pièce à venir sera bien entendu non un exercice mais une création. […] L’abstraction mécanique des corps d’Oskar Schlemmer, si loin de l’abstraction organique et lyrique qui conduit mon travail me pousse à envisager non pas cette création à partir de l’œuvre de Schlemmer, mais peut-être plus proche de l’homme, de son intimité, de sa psychologie. » [2]
La pièce est transmise en 2011 au Ballet de l’Opéra de Lyon.
Alice Gervais-Ragu
[1] Michel Bernard, « Sens et fiction » in De la création chorégraphique, Ed. Centre national de la danse, 2001
[2] Catherine Diverrès à propos de San (Lointain)
RÉCEPTION CRITIQUE
« Toutes les images de San font tilt. Le nageur en apesanteur entre deux eaux, le soudeur allumant un feu d’enfer, ou la scène finale des trois garçons se jetant des volées de riz. On a rarement vu plus sobre, plus condensé, plus inspiré que cet hommage superbement dansé. »
René Sirvin, Le Figaro, 26 juillet 2002
« En s’attachant au geste du peintre, Catherine Diverrès réalise une éblouissante composition géométrique où les corps, volumes flottant dans l’espace, évoquent un monde en apesanteur. Danse de spirale où le mouvement exulte. »
Irène Filiberti, feuille de salle de San (Lointain), 2002
dernière mise à jour : février 2014