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(Not) a Love Song

Chorégraphie
Réalisation
Année de réalisation
2008
Année de création
2007

De Good Boy (1998) aux Inconsolés (2005), la question du genre et des représentations de la sexualité a traversé chacune de mes pièces. L’insistance de ces enjeux me confronte à des interrogations qui sont à la fois formelles et politiques, et auxquelles je préfère me mesurer, plutôt que d’en anticiper les réponses. C’est grâce à la matérialité du processus de travail mis en œuvre sur chacun des projets qu’un jeu de résonances et de contradictions fécondes entre eux se sera peu à peu mis en place. D’étape en étape, j’ai ainsi relancé les dés d’une nécessité qui, pour moi, demeure indissociablement poétique et subjective. 

Avec Dispositifs 3.1 (2001), et plus encore Dé-marche (2002), je n’ai pu éluder ce rapport à la fiction et à la narration que j’avais jusqu’alors tenu à l’écart de ma recherche. Avec Les Inconsolés (2005), j’ai tenté d’épaissir les figures – pas encore tout à fait des personnages, mais plus que des silhouettes. Ces « inconsolés » m’ont permis, et ce d’une manière plus évidente pour moi, de raconter en somme une histoire, ou des histoires, en abordant aux rives du rêve et du fantasme, celles du trouble et de la transformation. Et en me confrontant aux procédures d’illusion que l’espace théâtral permet, mieux qu’aucun autre, de conférer à ces quasi-personnages cette épaisseur corporelle dont je veux éprouver la densité. Vécu comme nécessaire, et comme mutuellement dépendant du travail sur le geste et l’espace, le dialogue engagé avec la musique (en jouant de la disjonction classique et rock) et la voix (parlée ou chantée) me conduit aujourd’hui au désir de m’y engager plus 

directement. À l’occasion de Mauvais Genre (2003) déjà̀, j’avais entrepris une série de collaborations, successivement avec Claudia Triozzi, Vera Mantero et Mark Tompkins. Car je les avais invités autant pour leurs qualités d’interprètes, partie prenante du dispositif chorégraphique, que parce qu’ils étaient des chanteurs à part entière. J’avais également convié Georgette Dee pour la version à Cologne, tandis que, plus tard, pour le finissage de l’exposition Umstellung/Umwandlung à Vienne, c’est Dorit Chrysler, avec son thérémine et sa voix acidulée, qui nous donnait le change.

Depuis quelques années, je caresse le rêve de me frotter au genre difficile de la comédie musicale. Si j’ai été́ bercé par les grandes productions hollywoodiennes, les clichés et les attendus de l’entertainment m’ont souvent ennuyé́. En particulier, les prétextes et les arguments traités la plupart du temps d’une manière si guimauve, qu’on en ferait à peine un mauvais roman de gare. Avec ce projet, je voudrais contaminer les codes musicaux et dramaturgiques du genre, en puisant dans ce qui m’a nourri depuis toujours, et qui se trouve au confluent de musiques et de climats esthétiques et émotionnels très variés. 

(Not) a Love Song sera pour nous l’occasion d’une dérive frayant dans les parages d’un certain cinéma – du Sunset Boulevard de Wilder au Veronika Voss de Fassbinder… Là où la mémoire des postures, des lumières, des voix, des gestes, bref l’éclat camp des artifices sera le prétexte à un genre inédit : la tragédie musicale. Chansons donc, pour servir de support à une trame dramatique relayée par les trois personnages féminins qui se constituent dans l’ombre des souvenirs cinématographiques. Les relations de possession, de sadisme, de dépendance, de passion se développent dans ce drame de la perte de l’objet d’amour et de sa propre identité. Car le vieillissement des comédiennes ne se confond avec la perte d’un autre objet d’amour que parce que leur identité soudain vacille, de se confronter aux miroirs que leur métier, leur art auront comme à dessein multiplié. Ce sont là, les motifs qui nourrissent le cinéma et le show-business dans leur aptitude à servir de métaphore de notre condition, où la fascination pour son propre double se déploie plus librement (plus crûment) que dans l’existence. Les chassés- croisés d’identités ne visent qu’à renforcer la spirale dé-réalisante de la représentation. 

C’est pourquoi je ne peux concevoir ce projet qu’avec des personnalités artistiques riches, complexes, versatiles et polymorphes. Rencontré à l’occasion de Mauvais Genre donné au Danspace à New York, Miguel Gutierrez s’est imposé comme une évidence pour ce projet. Outre la force et la puissance de son jeu d’acteur, il s’autorise nombre de transgressions des codes du danseur avec une brillante impertinence. Ses capacités techniques de chant, il est back vocal pour Antony and the Johnsons, alimenteront les lignes de ce nouvel opus. 

Si nous connaissons Vera Mantero comme une chorégraphe et une improvisatrice douée, elle excelle aussi comme chanteuse. Ses interprétations singulières de Caetano Veloso mais aussi de quelques standards de jazz lui ont valu un beau succès. Sa pro- pension à une mobilité́ plastique de son corps, visage compris, démêlera les fils liés aux questions de genre qui ne sauraient être absentes de ce travail. 

Claudia Triozzi est une performeuse tout autant qu’une chanteuse hors pair, capable de négocier des dérapages vocaux savamment élaborés. Sa personnalité capable d’aventure et de démesure m’a paru convenir exactement à un projet qu’auraient très certainement refusé Doris Day et Annie Cordy. Et puis travailler à nouveau ensemble, c’est aussi une manière non pas de faire un bilan mais de relancer les dés. 

C’est évidemment avec les qualités singulières et les différences de chacun des performeurs que l’histoire se construira et plutôt que suivre le scénario d’un film en particulier, nous nous inspirerons de certaines scènes prélevées. Pour n’en citer que deux, je pourrais évoquer tout autant l’impressionnant face-à-face de Bette Davis et Joan Crawford dans What Ever Happened to Baby Jane?, ou bien encore cet autre film de Robert Aldrich, The Killing of Sister George, où Beryl Reid annonce à sa petite amie que son personnage de série TV sera assassiné lors du prochain épisode. (Not) a Love Song se propose de figurer ces multiples pertes.

Alain Buffard [septembre 2006] 

Chorégraphie
Réalisation
Année de réalisation
2008
Année de création
2007
Direction artistique / Conception
Alain Buffard
Lumières
Yves Godin – Régie lumière Thalie Lurault
Musique originale
Vincent Ségal
Interprétation
Miguel Gutierrez, Vera Mantero, Vincent Ségal, Claudia Triozzi
Scénographie
Alain Buffard
Son
Régie son Félix Perdreau
Production de l'œuvre chorégraphique
Création le 23 juin 2007, festival Montpellier Danse
Direction technique
Christophe Poux
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