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Manta (2009)

[extrait]

Un film réalisé par Valérie Urréa

Le solo Manta, d’Héla Fattoumi et Eric Lamoureux rencontre un grand succès. Et cette pièce très politique pourra toucher de nouveaux publics, à travers la lecture originale qu’en offre la cinéaste Valérie Urréa.

Comment filmer ce qui occulte ? La cinéaste Valérie Urréa s’est confrontée à un défi superbe et redoutable, en réalisant un film à partir de Manta. 

Ce solo chorégraphié par Eric Lamoureux et Héla Fattoumi, interprété sur scène par cette dernière, connaît un grand succès de diffusion. Il est éminemment politique : l’artiste y donne à partager l’expérience du port du niqab, voile intégral islamique. Malgré son fort impact, les directeurs du CCN de Caen ont fini par constater, et déplorer, que Manta ne touche souvent qu’un public avisé de la danse contemporaine. Le film permettra d’élargir le cercle des spectateurs.

Or Manta, le film, est beaucoup plus qu’un simple enregistrement par l’image de Manta la pièce. Ce film s’assume comme une lecture spécifique et subjective, fruit d’une rencontre approfondie entre les artistes chorégraphiques et celle de l’image qu’est Valérie Urréa. Déjà riche d’une abondante filmographie sur la danse, cette réalisatrice est aujourd’hui très concernée par les questions de la représentation du corps dans le monde arabe en mouvement.

Au Maroc, elle suit le travail d’une autre chorégraphe en pointe, Bouchra Ouizguen. A Marrakech, elle dispense son enseignement au sein de l’Ecole de Cinéma de Marrakech, unique sur le continent africain. Elle invite ses élèves à un renouvellement de leur regard sur le corps en mouvement, en jouant de liens avec les pratiques des arts de la scène en la matière.

Pour Héla Fattoumi sur un plateau, et ses spectateurs dans la salle, la pièce Manta constitue une expérience d’une grande rareté. Le plus souvent, on considère qu’un costume est d’importance seconde, venant rajouter quelques signes à l’action principale qui est évidemment celle des artistes sur le plateau. Dans Manta, unedanseuse (Héla Fattoumi) endosse le voile intégral, et ce « costume » mue en interlocuteur principal de l’action.

Quand la personne de l’artiste semblerait tendre à disparaître sous le tissu, il s’agit de déceler ce que sa danse fait à celui-ci. En émane un espace imaginaire d’absentement et de présence. L’intensification poétique enrichit et complexifie la perception habituellement schématique que sont à même d’élaborer les médias sur le sujet du voile. Dans Manta il s’agit d’éprouver, de voir et de ressentir, non de saisir à la volée une silhouette fantomatique aux significations phobiques préformatées.

Au moment de filmer cela, il fallait qu’un regard extrêmement subtil produise tout autre chose qu’un retour à l’enfermement dans un régime d’images prêtes à consommer. Par définition, le traitement cinématographique  démantibule l’unicité de temps qui est le propre d’une forme scénique. D’une durée deux fois moindre que celle de la pièce d’origine, Manta le film procède à un redécoupage de la pièce.

En découle une intensification du signifié performatif de ses séquences successives. La prise de vue opère souvent selon des plans très stables, des perspectives franches, des symétries rigoureuses. La qualité d’image est d’une netteté absolue. Alors la découpe du vêtement, son déploiement géométrique autour des formes du corps, le dessin des plis, se charge d’une monumentalité qui, au lieu de fasciner, en vient à troubler, à suggérer l’énigme d’une expérience aux limites de la forme.

Le regard prend le temps, et laisse s’imprimer les significations ambiguës de la rythmicité des gestes, ou de la translucidité à travers la toile. L’image peut se dédoubler, et jouer alors de variations dans les rapports d’échelle, selon que la figure paraît plus ou moins proche ou échappée en perspective.

Car enfin, la grande qualité de cette caméra au travail est de fouiller les profondeurs ou au contraire caresser les proximités de l’intime. Si occultée soit-elle, on y perçoit le grain de la peau. Et le détail de l’inflexion d’un signe corporel rappelle au frémissement poétique d’un mouvement jamais éteint. Ce travail de rapprochement s’attache souvent à de patientes saisies, au plus près, du regard de la danseuse, rare part de sa personne à laquelle une ouverture dans le tissu laisse encore un accès.

A ces instants, l’œil du spectateur ne sait plus trop s’il voit le monde en traversant le regard de la réalisatrice, ou tout autant celui de l’interprète scénique. La traversée opère par-delà le voile. Restaurant une pleine subjectivité, le film transgresse alors pleinement le pouvoir coercitif d’occultation que le voile entend infliger à un objet-femme. Et non sans rappeler que ce tissu, à force de prétendre cacher, avoue un excès d’obsession pour ce qui pourrait se montrer, le film de Valérie Urréa parvient à révéler tout au-delà du voile.

Gérard MAYEN, journaliste, auteur et critique de danse

Mise à jour novembre 2012

Année de réalisation
2012
Lumières
Xavier Lazarini
Musique originale
Éric Lamoureux
Interprétation
Héla Fattoumi
Production de l'œuvre vidéo
producteur délégué La Compagnie des indes – Gildas le Roux chargés de production Jessica Zaoui et Mathieu Dompnier comptables Aurélie Daniel et Sabine Drapied
Scénographie
Stéphane Pauvret
Son
Éric Lamoureux
Production vidéo
Réalisation Valérie Urrea – directeur de la photographie Dominique Dehan assisté de Christophe Neuville – ingénieur du son Thierry Godard – ingénieur du son renfort Denis Tribalat – steadycam Dominique Dehan – assistante réalisation et plateau Anouk Bonaldi – réalisation décors et régie plateau Jackie Baux – stagiaire scripte Jessy Ducreux – montage Guillaume Ducasse – étalonnage Neyrac – mixage Vidéomage
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