les ballets C de la B et l'esthétique du réel
Découvrez les ballets C de la B à travers cette exposition, réalisée par un groupe d’étudiants de l’Université de Lyon 2 issus du Master Arts de la scène et du spectacle vivant (théâtre et danse), en collaboration avec la Biennale de la danse – édition 2021 et Numeridanse.
Cette danse s’inscrit dans le monde, et le monde appartient à tous
les ballets C de la B (Ballets Contemporains de la Belgique), ont été créés en 1984 par un groupe d’artistes-amateurs flamands. Parmi eux : Alain Platel. Orthopédagogue de formation, il est aujourd’hui metteur en scène et incarne la figure de proue de la compagnie. Cette dernière s’inscrit dans une tendance transdisciplinaire qui a révolutionné la danse belge des années 80, notamment grâce à la présence d’artistes et d’interprètes aux parcours éclectiques. En 1996, la pièce d’Alain Platel Bonjour madame etc… est programmée à Avignon, marquant le début de son succès en France.
Une création dans le présent
Nous étions un cercle d’amis : l’un était sculpteur, une fille était serveuse, un copain faisait du fromage, un autre était médecin. On ne pensait pas du tout à la gloire ! Les choses se sont passées un peu par hasard. […] On s’est mis à jouer de plus en plus, pour finalement ne faire plus que ça. les ballets C de la B ne m’appartiennent pas, c’est avant tout l’histoire d’un groupe. Alain Platel
Au fil du temps la compagnie a adopté une structure de plate-forme de travail réunissant plusieurs chorégraphes, permettant un soutien à la jeune création.
les ballets C de la B sont nés à une période où la Belgique n’offrait pas de soutien solide aux jeunes compagnies. Ces dernières devaient faire par elles-mêmes et surtout avoir la passion de faire.
A Gand, pas mal de gens travaillaient comme ça, dans les squats, les appartements.
C’est avec cette mentalité que de nombreux artistes de qualité travaillant sur l’expressivité du corps se sont révélés et ont permis à la Belgique de jouer un rôle central dans le champ de la danse contemporaine, en prônant une innovation permanente, en donnant des visions inédites du monde où le geste dansé s’associe à la parole, le théâtre à la danse et à la performance.
Le pays est déchiré par cette histoire de Flamands et de Wallons. C’est une identité très bizarre. On a été influencés par tout le monde et j’ai l’impression que, du coup, on a moins de références uniques – Alain Platel
Écartelée sur les plans culturel, économique et linguistique, la Belgique doit faire face à une période de grand renouveau dans les années 1980. Ainsi, son paysage chorégraphique s’inscrit dans une effervescence créatrice que les difficultés vont nourrir en abondance, ouvrant un sillon durable pour la carrière de personnalités fortes.
Lourdes – Las Vegas est un film réalisé par Giovanni Cioni sur le spectacle Bernadetje. Il parvient à montrer avec humour et tendresse l’étendue de la misère urbaine flamande et de ses ghettos. Il y retransmet des éléments bruts par le biais de la scénographie et de ses interprètes : un groupe d’adolescents amateurs.
L’esthétique singulière des ballets C de la B
Une espèce de «style maison» se dessine. Il est populaire, anarchique, éclectique et engagé
Alain Platel diversifie les références qu’il convoque dans ses œuvres. Il pioche autant dans la culture populaire que dans les références dites “savantes”. Il mélange les cultures et les folklores et met en avant les individualités marginales aux parcours atypiques. En 2006, Il chorégraphie VSPRS, l’adaptation chorégraphique de l’une des grandes œuvres du répertoire liturgique, Les Vêpres à la Vierge de Claudio Monteverdi.
Un ensemble baroque, une soprano et l’orchestre jazz d’Aka Moon, mêlé de rythmes tziganes, sont réunis sur scène – Hildegard De Vuyst
Au-delà du mélange culturel, les ballets C de la B brouillent les frontières artistiques. Les danseurs s’improvisent chanteurs, les musiciens, comédiens. Cette transdisciplinarité a toujours été un axe moteur dans les propositions de la compagnie. Les rencontres entre des personnes d’origines et de formations artistiques variées façonnent aussi une impulsion génératrice d’un nouveau langage corporel. Alain Platel raconte qu’il a commencé à travailler sur la transdisciplinarité suite à un stage en 1980 avec Barbara Pearce, chorégraphe canadienne vivant à Paris.
COUP FATAL (2015) est écrit comme un concert : des musiciens issus de la culture traditionnelle de Kinshasa interprètent le répertoire baroque européen. Ce projet a mûri pendant 3 ans, à l’issue de la tournée de pitié ! en 2009. C’est par la volonté du contre-ténor Serge Kakudji que l’idée de partager des arias d’opéra avec des musiciens congolais fut finalisée.
Dans les œuvres de Platel, la musique est un réel moteur d’expression et elle est souvent jouée en live. De plus en plus présente dans le répertoire des ballets C de la B, la création sonore et musicale est assurée par des musiciens professionnels et amateurs, des danseurs et des chanteurs. Par exemple, Requiem pour L (2018), est une traduction visuelle et physique des images et associations évoquées par un Requiem.
Dans C(H)ŒURS, Alain Platel reprend les célèbres chœurs des opéras de Verdi et des compositions de Wagner sur commande du Teatro Real de Madrid (dirigé par Gérard Mortier). D’après un point de vue politique, il ausculte les dynamiques du groupe et de l’individu en son sein.
De par sa formation d’orthopédagogue, Alain Platel est sensible aux questionnements liés aux maladies mentales et aux handicaps moteurs.
Ainsi, il propose aux spectateurs une interprétation du vécu de ces personnes marginalisées.
Par exemple, la gestualité de La Tristeza Complice (1995) est basée sur le syndrome de Gilles de la Tourette qui se caractérise par une incapacité de contrôler les impulsions motrices, engendrant des tics verbaux et physiques. Autre exemple, le spectacle Wolf , créé en 2003, met en scène deux acteurs sourds.
La pathologie est toujours présente dans les œuvres actuelles de la compagnie. Elle est comme une inspiration pour les interprètes, devenus professionnels et virtuoses de la danse, qui en font émerger un langage gestuel extrêmement riche et complexe, incarnant les blessures de notre monde.
Tauberbach (2014) est inspiré de musiques de Jean-Sébastien Bach chantées par un chœur de personnes sourdes et du film documentaire Estamira de Marcos Prado, portrait d’une femme schizophrène vivant depuis une vingtaine d’années dans un dépotoir à Rio de Janeiro.
Faire un spectacle, c’est d’abord rencontrer des gens très différents.- Alain Platel
Générique
Croquis : Edwald Raemdonck
Rédaction et sélection des images : Perrine Pateyron, Lou Le Goaer
Sources :
Les Ballets C de la B – http://www.lesballetscdela.be/fr/
Les Inrocks – https://www.lesinrocks.com/1996/07/03/musique/concerts/alain-platel-joyeuse-misere-11233464/