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L'Arbitre des élégances
Pièce pour cinq danseurs et un comédien créée le 8 novembre 1986 au Festival Sigma de Bordeaux, « L’Arbitre des élégances ou Du baroque dans le désert » aborde le sujet de la nostalgie, de la vieillesse et de la mort.
Commande du Carré Saint-Vincent d’Orléans, « L’Arbitre des élégances ou Du baroque dans le désert » est créé le 8 novembre 1986 au Festival Sigma de Bordeaux. Le CNDC d’Angers, entre autres, a hébergé les répétitions dans ses locaux désertés pendant l’été. La pièce tourne au Théâtre de la Bastille (décembre 1986), à Orléans (Carré Saint Vincent, 1987), au Havre, à Genève puis au Tanz Festival de Vienne en mars 1988. A l’image de la réception d’« Instance », plusieurs années s’écouleront entre la création de la pièce et l’intérêt qu’elle suscite. Reprise en août 1991 dans le cadre du Festival d’Avignon, la pièce est ensuite accueillie au Théâtre de la Ville (Paris) puis au Quartz de Brest.
Pièce pour cinq danseurs et un comédien, « L’Arbitre des élégances » aborde le sujet de la nostalgie, de la vieillesse et de la mort dans un enchaînement de séquences baignant dans une atmosphère dramatique. Cette phrase tirée d’« Hamlet » est citée en guise de préambule : « Est-il possible que l’esprit d’une jeune fille soit aussi mortel que la vie d’un vieillard ? »
S’appuyant sur des images fortes et les textes « Avis de décès » d’Heiner Müller et « Tumeur cervykal » de Stanislas Witkiewicz, la mise en scène diffuse une théâtralité contenue entre baroque et abstraction : « Pour « L’Arbitre des élégances », j’utilise Heiner Müller, Witkiewicz. On pourrait s’en passer, mais pourquoi bouger si une phrase le dit mieux. Par contre, il y a des moments où la maladresse du geste est irremplaçable. L’entrecroisement des deux est intéressant. L’objectif c’est de rendre le spectateur fragile et éveillé dans une société surinformée. Dans l’univers baroque de « L’Arbitre des élégances », les textes apportent selon moi une force d’abstraction, de sensualité, quelque chose d’antique.(…) Les images fortes sollicitent le spectateur comme une peinture mais ce n’est pas pour autant une lecture facile. Il faut empêcher le regard de se laisser emporter par des images trop fortes. C’est dans les vides que la pensée arrive. » [1]
A propos de l’énigmatique sous-titre de la pièce – « Du baroque dans le désert » – Catherine Diverrès explique avoir cherché à évoquer par cette antithèse, la tension entre excès et vide : « L’inspiration du mouvement baroque, dans ses excès, dans son vouloir artistique acharné, repose dans l’histoire, sur une période de confusion, de trouble des valeurs qui permet aisément de créer un parallèle avec le présent (…) Le désert est à l’extrême, comme vide mental, comme mort de l’intention, Saïs devant l’image dévoilée, s’effondre, le feu de la quête se trouve noyé. De l’amour comme mode d’apprentissage. “Du baroque dans le désert” est en soi un paradoxe. Mais des extrêmes naît la TENSION, sorte de regard éloigné, mesure de l’impermanence et de l’imminence. » [2]
Ses notes de création reportées dans le dossier de presse dévoilent en bouquet ses sources d’inspiration :
« Voyage en Hollande,
La lumière de Vermeer, visite de Versailles.
Le portrait, relation à trois plus un :
le temps.
Transmission des regards,
Mémoire sensitive, impressive, intime.
Du baroque dans le désert.
Mort de l’intention, tout est possible.
1600 Shakespeare écrit Hamlet
« Comment est-il possible que l’esprit d’une jeune fille soit aussi mortel que la vie d’un vieillard »
1690
Au Japon, Bashô écrit les journaux de voyage.
« Dûssent blanchir mes os »
1927 Proust écrit « Le Temps retrouvé ».
Rapport à la vieillesse
Les légendes de Franz Hals
Légèreté du geste, ponctuation incisive,
La danse originaire, de la pensée, fluide.
Fermeté de la décomposition. » (dossier de presse du Théâtre de la Ville, 18-19 octobre 1991)
La reprise de 1991 serait « plus dansée » de l’avis de Marcelle Michel, critique du journal Libération. Pour l’occasion, Josef Nadj et Alain Rigout ont provisoirement réintègré la compagnie qu’ils avaient entretemps quittée. La pièce ressurgira sur scène par bribes à l’avenir : des duos seront ainsi repris de façon isolée en 1994 dans le cadre du Festival Duos au Théâtre national de Bretagne (TNB) tandis que des passages seront intégrés successivement aux pièces anthologiques « Retour » (1995) et « Voltes » (2001).
Claire Delcroix
[1] C. Diverrès in Marcelle Michel, « Elégances Diverrès », Libération, 27 juillet 1991
[2] Dossier de presse du Théâtre de la Ville, 18-19 octobre 1991
EXTRAITS DU PROGRAMME
« Sur le plateau une tache, carrelée, vestige du passé et quelques stries de neige, indice de voyage. Un plissé bleu tombe des cintres. Bernardo Montet s’empare de la diagonale. Sa présence laconique, soulignée par la rapidité du geste, efface toute trace. Il semble n’avoir jamais existé avant le pas qui l’emporte depuis la lisière de la scène. Dans la transversale la lumière de plein fouet brûle d’autres silhouettes. Sous la sobriété des couleurs, sous l’étrangeté des émois, mieux vaut ne pas oublier le noir d’où ils viennent, l’ombre qui les a longtemps contenus. Chacun porte en soi son propre exil, le corps traversé par une dispersion fondamentale. Alain Rigout se cache derrière les aveux arrachés par bribes au cœur des textes de Heiner Müller et Witkiewicz. (…) Gardien de l’ironie, Josef Nadj cultive une sensualité de l’effroi et dédouble d’un timbre voilé le corps-cri des mots que dessine la voix changeante du comédien, multipliant ses masques. Une frénésie de la dislocation traverse les élans et les chutes de Thierry Baë. Tandis que, le geste presque candide, Marion Mortureux trace une ligne mélodique blanche, sautillante, qui s’étire jusqu’à l’extinction, visage voilé, Catherine Diverrès se glisse entre virgules et apostrophes. »
Irène Filiberti, programme du Théâtre de la Ville, octobre 1991
« Plateau jonché de petites billes (de polystyrène?) semblant du sel ou de la neige verglacée. Sombre histoire sans récit possible. Catherine Diverrès monte une heure et quart de chorégraphie sans biographie lisible d’un parcours dramatique. C’est un état plutôt qu’elle organise à travers les tableaux successifs qui finissent tous par se fondre dans l’étonnante dernière image : un tableau de Vermeer [ndlr : il s’agit en fait des Régentes de Franz Haals], cinq personnages religieux autour de rouges pommes. Là le temps se ralentit concentré en ce petit espace autour d’une table, les corps se taisent et les regards nous fixent. Ce qui a eu lieu avant disparaît dans la représentation picturale, simulant ce fameux vide auquel Diverrès aspire, en sous-titrant son oeuvre « Du baroque dans le désert ».
Le baroque ce serait donc avant, dans l’affrontement et le choc des corps qui se joignent, se heurtent et chutent violemment sur le sol. (…) Ne jouant pas du tout sur les cordes de la virtuosité ni du spectaculaire, la danse travaille à même les limites de la représentation de la violence, du mal, des coups, des chutes. Parfaitement maîtrisés, les excès des corps simulent une déchirure, une révolte, un cri qui nous atteignent dans la chair. »
C. G., « Avignon : Diverrès corps à corps », La Marseillaise, 29 juillet 1991
textes Avis de décès, Hamlet-machine, Heiner Müller, trad. Jean Jourdheuil, Heinz Scharzinger, éd. de Minuit. Tumeur cervykale in Théâtre complet, V, Witkiewicz, trad. Alain Van Crugten, éd. L’âge d’homme.
dernière mise à jour : novembre 2014