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It's not over until the fit phat fat lady sings
enregistré au CND le 24 juin 2005
Dans cette troisième production – dont le titre s’inspire du dicton anglais « it ain’t over till the fat lady sings »[1], rappelant que personne ne peut présager du dénouement d’un évènement en cours – la chorégraphe et metteuse en scène Hlengiwe Lushaba raconte le destin de trois femmes d’un petit village reculé. Sur scène, le narrateur introduit par ces phrases ce « conte moderne »[2]. «Dans un petit village, loin loin, vivaient trois énormes femmes, Gcina, Nuh, Badigé. Ces trois grosses femmes partageaient une maison. Tout ce qu’elles savaient faire, c’était téléphoner, faire du shopping et manger. Elles aimaient tellement manger qu’elles n’avaient plus le temps pour rien d’autre. Les gens du village étaient inquiets du fait que ces femmes n’avaient pas d’autres amies qu’elles-mêmes. Certains pensaient qu’elles étaient honteuses de leur poids. Mais en fait elles étaient très fières de qui elles étaient et de leur apparence. » Se révèlant tour à tour griot, pasteur, rappeur, sergent-chef ou commissaire-priseur, le même narrateur se livre à une parodie de ventes aux enchères pour vendre au plus offrant – et en quelques sortes « en pièces détachées » – un portrait grinçant et caricatural de l’Afrique, du danseur traditionnel africain aux colons en passant par le désert à dos de chameau et la mafia africaine.
A travers cette revue totale aux accents de cabaret, c’est la crise identitaire post-apartheid que H. Lushaba dépeint et la feuille de salle qui accompagne le spectacle explicite le propos de la chorégraphe en ces termes : « Et maintenant, que se passe-t-il ? Maintenant que nous en sommes-là, où irons-nous demain ? Deux questions récurrentes dans un travail qui parcourt tour à tour les terrains de la religion, de la politique ou les territoires identitaires. (…) Comment se confronter à un présent orphelin d’une histoire occultée, volée à la majorité noire ? Comment nier un héritage colonial, celui de l’apartheid, dont les implications mentales, sociales, économiques et culturelles sautent à la gorge chaque jour ? Comme si l’Afrique du Sud avait pu, au nom d’une hypothétique réconciliation, faire table rase en une décennie d’un passé de plusieurs siècles… Alors oublier ? Non, décidément, Hlengiwe ne saurait oublier ni un frère activiste politique exécuté, ni le regard vaguement inquiet des dames blanches sur leur sac à main dans les ascenseurs des galeries commerciales…»[3]
En 2005, la pièce tourne en Europe au Festival de Liège (Belgique), au Festival Afrique noire à Berne (Suisse) et au Centre national de la danse à Pantin (France).
[1] Littéralement : « Rien n’est fini tant que la grosse femme n’a pas chanté »
[2] M.L.G, La Libre Belgique, 25 janvier 2005.
[3] Virginie Dupray, programme du Centre national de la danse, juin 2005.
Extrait de programme
Depuis l’abolition de l’apartheid en 1991 et l’installation progressive de la démocratie, on aurait tendance à penser que tout est résolu en Afrique du Sud, que les Noirs ont retrouvé une place égale à celle des Blancs. Que tous les citoyens de la nation qui se dit arc-en-ciel (rainbow nation) vivent dans l’égalité, la fraternité. Or la richesse reste blanche, la pauvreté, noire. Et toutes les responsabilités ne sont pas mises à jour, ce qui vole le peuple noir d’une partie de son histoire. En résumé, être noir n’est toujours pas facile en ce pays. Alors quand, en plus, on est une grosse femme comme au moins deux blanches, on peut se demander quelle place on occupe dans une pareille société. Et quand on aime porter des cyclistes et juste un soutien gorge ? Est-ce qu’on est belle, laide, autre chose ? C’est autour de ces questions identitaires, politiques et de bien d’autres que s’est construit librement le spectacle de la chorégraphe Hlengiwe Lushaba que l’on verra pour la première fois en Europe. Librement parce que celle qui ose dire – avec toute l’audace de son jeune âge (à peine plus de vingt ans) – qu’elle ne comprend rien à la danse, n’a pas mis que de la danse dans la représentation. On y trouve pêle-mêle trois drôles de dames bien en chair qui se baladent avec un téléphone portable, deux danseurs qui ne cessent d’avancer et de reculer, un diseur de slam (cette poésie urbaine proche du rap né aux Etats-Unis) habillé en pasteur, le tout entraîné par le chant des fat ladies et leur voix magique (elles chantent aussi bien le gospel que les chants zoulous) et par des percussions endiablées.
Festival de Liège, 2005
Dernière mise à jour : juin 2013