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Good for...
Comment d’une pièce à caractère autobiographique – Good Boy – déplier des histoires plus génériques, tel a été́ le pari de Good for…, pièce pour quatre danseurs. Le solo a en effet une grande capacité à exposer le corps plus que n’importe quelle forme ; et en même temps, il semble inséparable de son interprète. Un autre corps, des corps autres : peut-on dire encore qu’il s’agit du même solo ? Je voulais voir ce que donneraient, transposées à d’autres corps, chacun porteur d’une histoire individuelle, les propositions de ce premier travail.
Les présences de Matthieu Doze, Rachid Ouramdane et Christian Rizzo piègent le dispositif du solo, en ce sens qu’elles en défigurent chacune des séquences. Quelque chose de l’identification du danseur au solo et du solo au danseur s’y trouve empêché. Si Good Boy trafique avec la maladie et la fragilité de notre corps, il s’agit bien d’une exposition d’un corps singulier dont les strates respirent et transpirent sa propre histoire. Pour autant, il ne s’agit pas ici d’autobiographie déguisée, encore moins de biographies démultipliées. En s’appuyant sur les différences de chacun, Good for… déplace l’enjeu politique et social du solo initial vers la question de la communauté et de sa difficile figuration. Démultiplier les présences produit autant de pistes pour représenter les enjeux chorégraphiques et sociaux de Good Boy. Pour autant : c’est moins une communauté indivise qui apparaît, réconciliée ou non, qu’une démultiplication des singularités.
D’une expérience particulière peuvent surgir des tralalas. Good Boy se risquait au tragique, Good for… lui aura substitué sans que cela ait été intentionnel un parti pris ludique, ironique, amusé à tout le moins. On peut dire que l’on passe du corps-je au corps-jeu.
La nécessité du contrepoint produit par chacun ayant incliné l’en- semble du projet dans le sens d’une complicité amusée.
Nous avons, lors de notre première présentation au Crestet-centre d’art, établi un rapport de plasticité et d’élasticité spécifique, dû à l’architecture du lieu. L’espace en L des galeries d’exposition où nous dansions et les baies vitrées, ou plutôt les vitrines qui nous séparaient du public debout dans le jardin carré renforçaient la dis- tance et la séparation entre le spectateur et les interprètes, l’obligeant ainsi à assumer le choix qu’il avait fait de regarder tel ou tel d’entre nous. L’espace permettait un jeu du visible et du non-visible, une démultiplication et une réduction de nos présences. Ce dispositif dans le White Cube* favorisait également une certaine distanciation de l’objet traité.
Explorer d’autres possibles dans les espaces de représentation où nous nous produisons suppose un travail en amont. Cela nous oblige à repenser les composants de la pièce initiale comme une nouvelle étape, pour mieux désamorcer ce qui a été́ construit pendant la précédente.
Nous avons mis l’accent sur la production sonore de nos corps : des splash et des boum. Et sur la capacité à chacun de se rendre poreux à sa propre féminité : des talons oui, mais pas de falbalas (nous sommes toujours dans le White Cube*).
Les bons garçons sont devenus des mauvais garçons, et réciproquement. Les bons garçons vont au paradis, les mauvais vont partout. Et font pas de chichis.
Alain Buffard
* White Cube : l’espace ouvert et blanc, dépourvu de tout signifiant pré-établi, favorable aux expériences avant-gardistes, devenu le paradigme de la galerie d’art, aurait été défini et théorisé pour la première fois par le critique Brian O’Doherty en 1976.