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Entrelacs
enregistré au CND le 3 mars 2011
« Aux trois coups de minuit, tous les chats sont gris.
on entend dans les bois lointains des hallalis.
dos fuyants dans les forêts cathédrales.
sous la lune rousse, c’est la promenade des spectres.
du long fleuve noir remonte la blanche Ophélie.
ce soir, gardez l’œil sur vos ombres, l’au-delà est de sortie. »
Pour Lionel Hoche, le théâtre demeure ce lieu où, dans le sillage de l’Orestie et d’Hamlet, les revenants sont convoqués pour inquiéter ou orienter les vivants. Mais, en enfant de la modernité, c’est avec les souvenirs mêlés du cinéma et de la littérature fantastique qu’il offre à son théâtre d’illusions de nouvelles chimères. Ces figures de fantômes, il sait qu’elles sont toujours et déjà les revenants de figures plus anciennes, immémoriales, et qu’elles ressuscitent à chaque époque pour nous parler encore et toujours d’éternité, où le temps, paraît-il, est fort long. C’est pourquoi, à ce singulier bal des vampires, on croisera autant de spectres familiers que de nouvelles créatures : une Ophélie sauvée des eaux, des jumelles façon « Shining », un Nosferatu fuyant son ombre, des succubes riant sur les âmes endormies, comme dans un cauchemar de Füssli chanté par un groupe de rock gothique…
Ces figures composites, qui ne sont que les facettes éclatées d’un même corps, évoluent dans une suite kaléidoscopique de tableaux qui sont autant de flash-back et de déjà vu. Sous les caprices du rêve, il y a toujours la logique souterraine d’un retour …
« Entrelacs » est une pièce qui tente un alliage, une alchimie singulière : déplacer les codes et les ingrédients du genre fantastique dans le champ chorégraphique.
Sur le plateau, cinq danseurs multiplient les avatars et les ombres, dans une écriture chorégraphique de la hantise et de la manipulation, du double et du contraire. Dans un univers scénographique en noir et blanc, où toutes les dimensions sont renversées, aussi bien le haut et le bas que l’avant et l’après, le dispositif vidéo interactif de Thierry Fournier règle le jeu des apparitions spectrales. Ainsi dédoublée, hantée par sa propre trace lumineuse, la danse emporte les corps dans un miroitement entre le visible et l’invisible, la réalité et l’illusion. Sur une bande-son en forme de leçons de ténèbres (partitions d’orgue de Michaël Levinas et Arvo Pärt jouées en direct, chansons du groupe Bauhaus…), les danseurs revisitent les figures d’un imaginaire, s’autorisant la citation, le clin d’œil et l’humour, pour en produire de nouvelles formes d’apparitions, incarner de nouveaux revenants…
Comme c’était déjà le cas dans nombre des pièces précédentes de Lionel Hoche, « Entrelacs » est plus que jamais l’affirmation d’un théâtre de l’illusion, d’une danse d’images, d’un rapport ludique aux signes, et de l’invention de rituels poétiques. Une manière de faire un peu de lumière dans l’invisible.
Dernière mise à jour : septembre 2011