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Encor

Année de réalisation
2010
Année de création
2010

Première pièce de Catherine Diverrès après son départ de la direction du Centre chorégraphique national de Rennes, « Encor » est une pièce de commande, créée pour la Biennale de la danse de Lyon 2010.

Première pièce de Catherine Diverrès après son départ de la direction du Centre chorégraphique national de Rennes, « Encor » est une pièce de commande, créée pour la Biennale de la danse de Lyon 2010. Catherine Diverrès propose « de jouer avec des concepts, entre intuition et réflexion, et d’interroger le mouvement et le langage dansé autour du thème de même de la Biennale : “Encore” » [1]. Elle revient sur le contexte de création avec ce texte d’introduction : « Après mon départ de la direction du Centre Chorégraphique de Rennes m’est venue l’idée d’une “commande”… Je me souvins du processus de “San”, pièce commandée par Antonio Pinto Ribeiro pour Culturgest à Lisbonne en 2002 : il s’agissait d’un hommage à Oskar Schlemmer. Ma réticence de départ a été bouleversée par le plaisir d’entrer dans une  matière toute nouvelle et finalement indépendante de ma volonté, c’est-à-dire dont les contraintes fixées d’avance et le sujet, ne m’appartenaient pas. J’ai trouvé dans cette expérience une grande liberté, une espèce de dégagement de moi-même…
Les voies toutes nouvelles qu’ouvre la position de mon indépendance retrouvée, m’ont donnée ce désir d’appréhender à nouveau cette qualité si particulière que la commande engendre dans un processus de création.
Je savais que Guy Darmet signerait sa dernière Biennale en 2010. Il s’agit donc de départs, nouveaux départs… Il m’a répondu par le thème même de cette Biennale : “Encore…”. Et je l’en remercie ! Aussi banal, anodin soit ce mot, il porte force de désir, de transmission, de durée… Et une certaine gravité. Ainsi c’est avec sérieux et un plaisir ludique que je me suis plongée dans la réflexion de ce que recouvrait l’ “encore”. » [2]

Marquée par la disparition encore récente de figures tutélaires de la danse (Pina Bausch, Merce Cunningham, Odile Duboc, Kazuo Ohno), Catherine Diverrès associe à l’invective « encore » – « mot lourd de fruits, riche d’imaginaire, qui marie ce sens du débordement à celui du cycle infini de la vie et de la mort » [3] – , la notion de temps, de durée, de mémoire. Mais aussi la multiplicité de la danse : « Je voulais parler de cette diversité-là et surtout de cette résistance aussi parce que pour que l’écriture de la danse contemporaine existe, il faut continuer à se battre. C’est aussi une façon de rendre hommage au métier du danseur, qui est souvent mal connu socialement, qui est dur, et en même temps qui est magnifique, qui demande beaucoup d’amour, de don, de générosité, d’imagination, de sensibilité. Je rends un peu hommage aussi au métier du danseur. » [4]

« Encor » entre en résonnance avec le séminaire « Encore » du psychanlalyste Jacques Lacan, qui s’est déroulé lors de l’année 1972-1973, abordant le thème de la jouissance. La pièce donnera lieu à de fructueux échanges entre la chorégraphe et un cercle de psychanalystes à Pontarlier.

Pour la journaliste Irène Filiberti, « Encor » incarne la réponse de la chorégraphe à son appel (lancé en 1998) à lutter par le mouvement et la présence physique contre la disparition annoncée des corps : « Du sentiment tragique de la vie aux différentes dimensions poétiques de ses pièces, de sa conception de la danse aux divers dispositifs imaginés pour moduler sa perception du réel, Catherine Diverrès concrétise son intuition de 1998 dans “Encor”. Pas de texte ni d’objet plastique sinon une architecture de l’espace, des environnements sonores et lumineux. Dans la vision et le travail de mémoire si particulier d’“Encor” demeure l’une des postures premières de la chorégraphe. Le refus de la langue comme seul instrument et vecteur de “signification”. » [5] Toujours accompagnée par Laurent Peduzzi et Cidalia Da Costa, cette incarnation prend forme en plusieurs tableaux évoquant tour à tour la fête et ses addictions, les fastes de l’Ancien Régime, la résistance combattive ou l’endurance.

« “Encor” est une succession d’instants de vie, de références, de scènes recréées illustrant la vision du monde de la chorégraphe inspirée aussi bien par Godard que par le mythe d’Icare ou par son lien fort avec le Japon et Kazuo Ohno. Les images jaillissent, les danseurs, lancés dans une course poursuite, se succèdent en des séquences, révélant notre solitude dans un monde en pleine mutation. » [6]

La pièce sera présentée à Paris au Théâtre national de Chaillot en 2010 ainsi que dans plusieurs villes de France (Le Mans, Le Havre, Dijon, Limoges Pau, Bezons, Saint-Brieuc, Vannes) jusqu’en 2012 ainsi qu’en Belgique (Bruxelles) et en Allemagne (Brême) et lors des Hivernales Avignon 2012.

Claire Delcroix

[1] C. Diverrès, dossier de création, octobre 2009.
[2] Ibid
[3] I. Filiberti, dossier de création, octobre 2009.
[4] C. Diverrès, « Une minute avec… » (interview filmée dans le cadre de la Biennale de la danse), septembre 2010.
[5] I. Filiberti, Catherine Diverrès, mémoires passantes, Paris : Centre national de la danse ; L’Oeil d’or, 2010, p. 146.
[6] Programme des Hivernales d’Avignon, 2012, http://www.hivernales-avignon.com/archives

EXTRAIT DE PROGRAMME

De l’expérience de la lenteur et de la retenue à la traversée fulgurante, de l’élan à la déflagration du geste, de la forme la plus explorée de la danse du XXe siècle, la spirale, au mouvement et son continuum, de la chute à l’élévation, Catherine Diverrès conduit un propos qui nous parle du sens même de la vie comme des mutations du regard. On peut y renouer aussi avec les premiers films abstraits fondés sur la musique chromatique. L’intérêt de la chorégraphe pour la lumière et plus précisément son exploration des formes et des couleurs comme sources énergétiques suggèrent ce que ces pionniers de la danse tels Loïe Fuller tentaient de définir à travers de nouvelles expérimentations physiques : les conséquences motrices et tactiles des sensations visuelle. « Encor » est construit de bribes de mémoire agrégées, plus ou moins décousues, superposées, fondues, enchaînées, entre silence, brouillages sonores et voix, traitées comme des inserts. La chorégraphie prend de nouveaux chemins de traverse non balisés : « encore », mot lourd de fruits, riche d’imaginaire, qui marie ce sens du débordement à celui du cycle infini de la vie et de la mort.

Irène Filiberti, « Catherine Diverrès, mémoires passantes », Paris : Centre national de la danse ; L’Oeil d’or, 2010, p. 147

Que signifie alors pour nous, en danse, interprètes et spectateurs, le mot « encore » ? Mot de promesse, gorgé de désir, qui nous parle de croissance et de vie, de transmission et de forces. […] « Encore », mot lourd de fruits, riche d’imaginaire, marie ce sens du débordement à celui du cycle infini de la vie et de la mort. D’où l’envie, aisée, d’associer en lui les pulsions troubles d’Eros, et de la fête qui sans cesse recommence. Paillettes, fantômes, masques pour la « re-présentation ». Orgasme inassouvi de la fête. Entre gravité et légèreté, naissance et disparition, comment faire entendre le mot, faire résonner l’écho de ses multiples sens avec ses débordements et ses fugues, ses envols ? Cycle merveilleux et impitoyable de la vie liée aux rêves contre la mort, mais qui à son climax – toujours, encore – côtoie la Mort ; par addiction, démesure, quantité, résistance… Eros et Thanatos, à nouveau, combats et chute. Vertige, tourbillon, le chemin ouvert par l’« encore » suit le destin sinueux de la grâce et du tourment. Chronos, le plus grand chorégraphe, règle tangos et valses et décide du tempo. Un certain balancement y est ordonné par l’usage du superlatif « encore ». Mouvement vers le « plus » : bouffonneries, fioritures baroques, débordements d’artifices. Puis bascule vers le moins : rigueur suprématiste, économie des formes, des affects, des effets et des moyens. Et puis les timides, les austères, fidèles et terribles « pas encore», « encore temps ! » et autres étoiles qui veillent, luisent : attente, espoir, transmission. Le lustre du « Salon de musique » balance, Satayavit Ray ouvre un œil, le film mythique se rappelle à nous. Dans de premières investigations rêvées, « encore » nous guide, nous mène. Il ouvre le cercle magique et abstrait de l’intemporalité, de la durée pure. Mais il ouvre aussi le cercle infernal de la performance, celui-là même auquel l’humain se mesure et se « dé-mesure », sans relâche parfois, jusqu’à sa propre finitude. Alors la fragile abstraction de la danse devient « l’intranquillité » même. Une image surgit : l’homme, la femme, sur une pointe (à son pied) saute, saute encore et encore. Il, elle s’enfonce et s’élève furieusement, désespérément, (« encore et toujours » chante le poète, si l’on songe à Verlaine). Il, elle chute et se relève, chute et se relève, chute et se relève… Il, elle prend et repousse, prend et repousse, prend et repousse… Le mot « encore » nous parle de mémoire. Quand nous le prononçons, nous appelons un futur, immédiat ou lointain. Et devant la répétition, nous sommes aussi de façon consciente ou inconsciente dans un rappel du passé, également immédiat ou lointain. On peut ainsi parler de l’humilité de la répétition, de l’effort, de la lutte contre l’épuisement. Re-prendre, re-faire, re-commencer. Boucle du temps, bégaiement qui le déjoue Beckett et l’Absurde ne sont pas loin de cette conjuration du définitif, l’irréparable. Le désir de suspendre la chute, vers l’oubli, un instant.

I. Filiberti, dossier de présentation d’« Encor », Compagnie Catherine Diverrès, 2010.

EXTRAIT DE PRESSE

Catherine Diverrès procède par séquençage, finement composé sur des grilles répétitives d’inspiration minimaliste, d’éclats esthétiques intensifiés dans le présent d’une mémoire active des figures qui hantent son œuvre. Mais la dynamique en est autre. « Encor » procède par un enchaînement d’expositions successives, volontiers solitaires, d’actes scéniques qui s’inscrivent avec l’intention farouche d’affirmer la revendication de durer, de continuer coûte que coûte, en résistance. Geste après geste comme arrachés à un péril futur, cette pièce se bat avec le vide du plateau. Animée d’un vertige répétitif, elle émeut par sa détermination de funambule à acter la conscience que pour l’art, face à tous vents contraires, il n’y a rien à céder. Chacun des cinq interprètes, de solide et fidèle trempe, s’en fait le combattant, en mobilisant la densification de son personnage. L’encore présent de Catherine Diverrès procède par collecte dans l’immense réserve de son passé, au péril de se tendre à l’extrême dans une posture en survie. Elle travaille sur la mémoire sans doute plus qu’elle ne se laisse travailler par la mémoire….

Gérard Mayen, Mouvement, septembre 2010

dernière mise à jour novembre 2014

Chorégraphie
Année de réalisation
2010
Année de création
2010
Lumières
Catherine Diverrès, Pierre Gaillardot
Musique originale
Jean-Luc Guionnet, Seiji Murayama, Denis Gambiez
Interprétation
Carole Gomes, Isabelle Kurzi, Thierry Micouin, Rafael Pardillo, Emilio Urbina
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