Ce contenu contient des scènes pouvant choquer un public non averti.
Souhaitez-vous tout de même le visionner ?
Democracy
Qu’y a-t-il de plus libérateur et de plus contraignant pour un corps que d’être confronté à un rythme ? S’y abandonner, s’y glisser, s’y soumettre, s’en défaire, y trouver sa place, le transformer de l’intérieur… C’est au cœur de ce paradoxe que Maud Le Pladec a placé le moteur de sa création – comme une machine chorégraphique dont s’échapperaient des questions subjectives et politiques. Poursuivant ses recherches sur la musique contemporaine, elle est allée puiser dans La démocratie contre l’état de Miguel Abensour une source d’indétermination et de débordement, transformée en réflexion sur les modes d’être ensemble. Dépliant les enjeux scénique de sa question, elle a ensuite branché cette pensée en acte sur la force perturbatrice de la pièce Dark Full Ride de Julia Wolfe : une cavalcade débridée de toms, de cymbales et de grosses caisses, conjuguant la puissance du rock et les principes de répétition et d’infimes variations de la musique post-minimaliste. Prolongée par la partition composée en écho par Francesco Filidei et interprétée sur scène par l’ensemble TaCTuS, la musique forme un socle et un écrin : tissu vivant qui enveloppe les danseurs ou les expulse, les enserre, les intensifie ; appareil qu’ils font dérailler, dont ils s’approprient et dérèglent les rouages.
Soumise à cette pression de peaux et de muscles, de coups et de pas, la scène devient surface d’échange où transitent et se déploient des figures, comme autant d’allégorie de l’invention politique : d’échappées collectives en situations conflictuelles, d’incarnations singulières en rencontres accidentelles, des réseaux de sens et de références s’entremêlent, laissant transpirer l’idée d’une démocratie insurgente, vectrice d’utopie. Entre chaos et équilibre des forces, partition scrupuleuse et débordement vital, Democracy propose une danse chargée – d’états, d’idées, de rythmicités – et se fait le support d’une communauté polémique où danseurs et batteurs œuvrent à défaire les places établies. Tour à tour isolés, festifs, occupés, décuplés, entraînés, dispersés, solidaires, leurs corps transportent les ferments d’une démocratie sauvage.
— Gilles Amalvi