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Corpus

Chorégraphie
Réalisation
Année de réalisation
1999
Année de création
1999

Pièce pour huit danseurs et un comédien qui s’inspire de la lecture de « Corpus » du philosophe Jean-Luc Nancy.

Corpus, pièce pour huit danseurs et un comédien, est créée en 1999. Deux ans auparavant, Catherine Diverrès fait une lecture décisive, celle du Corpus de Jean-Luc Nancy [1], texte dont elle se saisit dans un premier temps pour expérimenter différentes pistes avec des comédiens. Finalement elle décide d’inclure ce texte à un projet chorégraphique, « (pour) le rythme de cette langue autant que (pour) le sens. » [2] Notamment, au regard de l’écriture de Nancy, elle souhaite explorer les corps selon leurs lieux, leurs reliefs et leurs poids, bien au-delà de leurs seuls signifiants.

Dans cette perspective, Catherine Diverrès demande en préalable aux danseurs d’effectuer une recherche personnelle anthropologique, afin de pouvoir ancrer le processus chorégraphique à partir d’éléments extérieurs au studio, et donc, d’extrapoler l’intime comme l’universalité du corps en labeur. L’idée est d’ensuite exposer en commun les résultats d’investigation lors des premières séances de travail. « (Les danseurs) ont enquêté sur le monde du travail, interviewé, filmé : un gardien de phare, un coiffeur, une prostituée, une sage-femme. Ils se sont penchés sur l’origine du tango, l’anthropophagie au Brésil, les rituels africains de passage, le chamanisme, l’usage des drogues. » [3] A partir de ce matériau vivace, épars, accidenté – corpus anthropologique, de fait, devenu empirique – elle entame un vaste chantier qui va produire un véritable objet kaléidoscopique.

« (…) Comprendre, un peu mieux comprendre, en remontant des couches de notre histoire vers le présent, ce qui se meut aujourd’hui, ce qui déplace, ce qui traverse. Comprendre ce qui au contraire est exsangue, ce qui fait obstacle, ce qui interrompt le mouvement, le vivant.

Eprouver le silence (de l’humilité) des corps qui passent les mots, les signes, les gestes transmis de ceux d’avant, de ceux à côté, et de cela même, inscrit en soi, lointain, présent. (…) » [4]

Corpus, la pièce, se signale d’abord par une prise en charge de situations sociales ou intimes portées par des corps : un homme se rase puis s’essuie, une femme en robe blanche d’apparat est ballotée entre deux hommes sur un bruit de trains, une autre retape son chignon avant de s’épousseter, … Divers moments s’installent, graves ou futiles, en succession ou simultanément, avec leurs cortèges d’arrivées et de départs et de sensibilités éprouvées, parfois exacerbées.

«  Corpus : il faudrait pouvoir seulement collecter et réciter un par un les corps, pas même leurs noms (ce ne serait pas exactement un mémorial), mais leurs lieux. » [5]

De temps en temps, le corps se fait cri, par le biais de fulgurantes déclarations tel que : « émigration !», « blanchiment de la race !», « expulser le mal !», où l’on entend l’urgence d’une interrogation quant aux dehors du corps et ses processus d’exclusion. A cet endroit précis, passe l’ombre d’un corps communautaire. Le corps est ici sommé, en quelque sorte, de se reconnaître dans l’implicite et l’intemporel de sa propre diaspora. Fatalement, de là naissent des atmosphères inquiétées qui ne s’apaisent pas toujours. Tension dans les corps, exacerbation des gestes, éparpillement des corps et des gestes : dans Corpus, les recours extrêmes sont nombreux et parlants, produisant en graduation un sentiment d’épuisement des ressources humaines. A ce titre, la force de la figure de groupe, dans la pièce, est prégnante : l’on pense aux moments d’unisson, ou encore à la formation puis l’éclatement d’une ronde, qui évoquent autant l’universalité que l’intimité des corps entre eux. Aussi est-on puissamment renvoyé, dans l’affaissement collectif des corps comme dans les secousses de leurs poses victorieuses, tour à tour au singulier ou au grégaire.

Et puis, il y a la présence du comédien Erik Gerken, portant magistralement par bribes le texte de Jean-Luc Nancy, auquel s’ajoute L’infini turbulent d’Henri Michaux [6]. Cécile Loyer, vêtue de blanc, adossée au mur, évolue en appui au texte, induisant par là une multiplicité de rapports corps/mur corps/texte corps/lumière – être dans sa nuit, être la nuit du corps, en être le matin, et puis, en incarner méticuleusement les matières, l’air, la terre, les liquides, les particules abrasives…Et tout à coup l’air prend d’autorité les corps et leurs espaces. Des courses, des sauts comme des jaillissements ; une intranquillité joyeuse, gestuelle grisée de l’élan, du balancement, du rebond et, dans la dispersion atomique, s’opère une irrépressible jouissance des corps. Alors, par la magie de la précipitation d’un corps vers un autre, une accélération merveilleuse se produit : l’on se sent soudain naturellement inclus dans ce corpus de moelleux, de gras et de tendre de danse, tandis que la joie évidente qu’ont les corps à danser éclate bien au-delà du plateau.

Et c’est là, sans doute, que réside la grande force de Corpus, dans sa faculté quasiment exhaustive à rassembler autant qu’à faire exploser tout ce dont le corps recèle, depuis ses grands ordonnancements jusqu’à ses possibles fouillis.

« Je crois que la question aujourd’hui, c’est bien la question du corps, de l’espace entre les corps, de leur poids dans un monde aussi virtualisé. » [7]

« Corpus est une des pièces les plus concrètes que j’ai faites. Il y a beaucoup de relief, on traverse des corps très différents, mais très réels, très concrets. » [8]

Alice GERVAIS-RAGU

[1] Jean-Luc Nancy, Corpus, Ed. Métailié, 1992
[2] Irène Filiberti, « Affinités électives » in Catherine Diverrès, Mémoires passantes, p. 70, Ed. Centre national de la danse, 2010
[3] Ibid, p. 72
[4] Catherine Diverrès à propos de Corpus, note d’intention, 1999
[5] Jean-Luc Nancy, extrait de son ouvrage Corpus, Ed. Métailié, 1992. Le Corpus de C. Diverrès s’appuie en partie sur ce texte, dont il va jusqu’à emprunter le titre.
[6] Henri Michaux, L’infini turbulent, Ed. Gallimard, 1957
[7] Catherine Diverrès à propos de Corpus, entretien avec Eric Prévert, La griffe, janvier1999
[8] Ibid.

RÉCEPTION CRITIQUE

« (…) [C]e long travail d’étrangeté, de déplacement, que la chorégraphe propose encore ici aux danseurs (et à notre regard), précipite la danse quand elle éclate dans une diffraction de l’espace et du temps que l’œil, l’ouïe, les sentiments, la pensée du spectateur ne savent plus nommer. »

Philippe Brzezanski, Journal du Théâtre de la Ville, janvier-février 1999, n° 125, p. 17

« Cette déclinaison des corps en excès donne lieu à de somptueuses danses. Corps et voix inscrivent délires et quotidien, texte et chorégraphie dans de savantes variations depuis le noir du plus sombre effroi décrit dans L’infini turbulent du poète Henri Michaux jusqu’à l’analyse non moins poétique du philosophe Jean-Luc Nancy développé dans l’un de ses livres, Corpus, qui donne son nom à la pièce de Catherine Diverrès. »

Irène Filiberti, programme du Théâtre de la Ville, 9-13 février 1999

« Il faut se laisser porter, surtout ne pas résister. Corpus parle des états extrêmes du corps, du vide qui succède aux trop fortes tensions. »

Dominique Frétard,« Ni morts ni vifs, les corps en cavale de Catherine Diverrès », Le Monde, janvier 1999

« Il y a profusion de matière dans Corpus, un spectacle qui porte bien son titre car il est pensé comme un recueil de pensées, de réflexions, de gestes… (…) Corpus agit comme un poison, un parfum entêtant, mais aussi, notamment avec la grande tirade sur le corps marchandise et le capitalisme, comme un discours politique. »

Marie-Christine Vernay, « Corpus entêtant », Libération, 12 février 1999

dernière mise à jour : mars 2014

Chorégraphie
Réalisation
Année de réalisation
1999
Année de création
1999
Lumières
Marie-Christine Soma assistée de Pierre Gaillardot
Musique originale
Denis Gambiez
Interprétation
Comédien Érik Gerken – Danseurs Alessandro Bernardeschi, Fabrice Dasse, Catherine Diverrès, Carole Gomes, Osman Kassen Khelili, Nam-Jin Kim, Isabelle Kürzi, Fabrice Lambert, Cécile Loyer
Scénographie
Laurent Peduzzi
Autre
Extraits de « L’infini turbulent » d’Henri Michaux, Mercure de France, 1964 ; extraits de « Corpus » de Jean-Luc Nancy, Éditions Métailié, 1992.
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