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Concertino

Année de réalisation
1990
Année de création
1990

Au source de cette pièce pour dix danseurs créée en novembre 1990 au Quartz de Brest se trouve la lecture du « Le Livre de l’intranquillité » de l’écrivain portugais Fernando Pessoa.

Pièce pour dix danseurs, « Concertino » est créée en novembre 1990 au Quartz de Brest à l’issue d’une résidence de dix semaines au manoir de Keroual (Finistère).

Dans les notes qui accompagnent la pièce, Catherine Diverrès l’envisage comme l’évocation d’ « une réunion de famille dans un intérieur, ou d’individus reliés par une histoire commune ». Et elle ajoute : « Le jour et la nuit d’une noce, ou d’un enterrement, peut-être le rêve de chacune de ces personnes où chacun se trouve dans le rêve de l’autre. Nous ne savons pas très bien qui est mort, qui est vivant. Les événements d’une vie défilent, avec le cortège des sensations, des images minimales nostalgiques de l’enfance. Tantôt la sensualité des parfums et des couleurs qui se dégage d’une nature toute proche, tantôt la violence, l’absurdité des cauchemars. » [1] Les tableaux posés autour successifs se voient traverser de simulacres de danses de couple et des danses traditionnelles, ainsi que des rituels qui semblent cimenter cette communauté

Au cœur de cette nouvelle création se trouve la découverte du « Le Livre de l’Intranquillité » de l’écrivain portugais Fernando Pessoa, nouvellement traduit en français (la première publication date de 1982 et la traduction française de 1988) et pierre angulaire du travail mené en studio avec les danseurs. Des bribes du texte de la version originale portugaise ou de la traduction française ponctuent la pièce accompagnée du « Concerto n° 2 pour piano » de Sergueï Rachmaninov. Ainsi se « présente une suite de scènes oniriques qui forment un tout, moments de vie intense et silences propices à l’attente contemplative. Meurtrissures de la passion, sensations éclatées dans un décor qui oppose le tumulte de la paille répandu au mur délicat d’un bouquet de roses. » [2]

La chorégraphe a imaginé la scénographie de la pièce. Un film miroitant tendu en fond de scène reflète l’espace scénique selon l’intensité des lumières de Pierre-Yves Lohier structurant l’espace scénique  et assurant un rôle dramaturgique à part entière. La surface miroitante accueille aussi ponctuellement la projection du tableau « Le Repas des moissonneurs » du peintre naturaliste Jules-Jacques Veyrassat (1852, musée des beaux-arts de Chartres), puis une courte séquence filmique du cinéaste expérimental Teo Hernandez prolongeant leur collaboration du « Printemps » (1989) et de « Fragment » (1989).

« Concertino » bénéficie d’une large diffusion. Son interprétation est particulièrement saluée, notamment le solo de Catherine Diverrès situé au mitan de la pièce et dansé sur un enregistrement du texte portugais de Pessoa, « point d’orgue du spectacle » [3] à en juger d’après le critique Jean-Marc Adolphe. A plusieurs reprises dans ses notes d’intention ou les interviews qu’elle accorde à sa création, la chorégraphe insiste sur la conception exigeante qu’elle se fait du travail de danseur comme « auteur » de sa danse à part entière : « La révolution du danseur reste à faire. » confie-t-elle ainsi au journal Le Monde, « Je suis là pour créer mes pièces, mais mes danseurs doivent être auteurs de leur propre danse. » [4] C’est à compter de cette pièce que Catherine Diverrès accompagnera d’ailleurs la dimension artistique de ses créations, de textes théorisant sa pratique comme le souligne Irène Filiberti, spécialiste de Catherine Diverrès : « A travers les documents émis par la compagnie ou différentes publications, journaux, revues, livres, s’esquisse un mode de conceptualisation qui ne passe plus seulement par la transmission orale auprès des danseurs, lors d’entretiens et conversations publiques ou avec la critique, mais par la production de textes (…) la plus grande partie de ses écrits a trait à la transmission de la danse et à la formation du danseur. Cet axe va particulièrement se développer à partir de sa nomination au Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne. » [5]

Pièce majeure de sa production, « Concertino » constitue une étape dans la carrière de Catherine Diverrès. Aux yeux d’Irène Filiberti, cette nouvelle création survenant sept ans après « Instance » marquerait le moment pour la chorégraphe de « prendre la mesure du parcours accompli » et de dresser un bilan chorégraphique : « La chorégraphie a quitté depuis longtemps le rapport à la narration. S’il existe une action dramatique, elle se situe non pas dans la compréhension d’une histoire ou d’un discours, mais dans une tension rythmique, émotionnelle, essentiellement musicale, que provoquent des situations, des parcours singuliers, les rencontres insolites entre des corps, des trajectoires et des objets. La force de la danse reste sa capacité d’abstraction. La chorégraphie est écriture poétique d’une conception aiguë de la durée et des pulsions anonymes d’une époque. On ne peut regarder la danse sans cette nostalgie de l’instant, cette « saisie » de la fugacité du présent. Les traces nous intéressent en ce qu’elles constituent la mémoire. C’est la sensation, la qualité de ce que l’œil et l’oreille vont ressentir qui décidera d’une « seconde vie » (de la permanence) de l’œuvre. C’est bien le sentiment de la temporalité pure, somme toute métaphysique, qui donne de l’épaisseur à un espace scénographique. » [6]

Claire Delcroix

[1] Catherine Diverrès citée par Jean-Marc Adophe, programme du Théâtre de la Ville, 4-6 juin 1991.
[2] Programme d’Onyx de Saint Herblain, 17 mars 1992.
[3] Feuille de salle du Théâtre de la Ville, 4-6 juin 1996.
[4] Dominique Frétard, « La chorégraphe de l’intranquillité », Le Monde, 30 mai 1991.
[5] I. Filiberti, Catherine Diverrès mémoires passantes, Paris : Centre national de la danse ; L’Oeil d’or, 2010, p. 89.
[6] Ibid., p. 69

A propos de la pièce

Dans cette pièce pas de rupture mais un trouble retrait, éveil à d’autres modes de perception. Partant d’une réalité plus quotidienne que dans les précédentes créations – liens sociaux ou familiaux, évènements qui peuvent jalonner le cours d’une vie –, l’interprétation singulière des danseurs s’inscrit dans une dimension plus abstraite. Etrange laquais en perruque, Bernardo Montet donne l’impression d’aller à l’amble, les incantations de Rita Quaglia s’élèvent en bras fuselés. Duos embrasés, désir aveugle et dérision charnelle trahissent un sentiment où chacun s’absente à l’autre, comme effacé. C’est alors le temps qui semble se mobiliser à l’image des corps. Air et transparence. Souffle. Entre inspiration et expiration apparaissent d’autres espaces, d’autres danses. Dans sa réitération, le mouvement se fait dessin, il reconstruit une vision d’ensemble et traduit un sentiment de vie détaché du réel. Les danseurs sont placés, déplacés, en lignes frontales ou diagonales, ou bien assis devant une table à la manière de la Cène. Ils viennent régulièrement briser leur gangue sur les bords de celle-ci. Le geste se fait frappant, fiévreux à se délivrer, martelant le bois. En contrepoint, surgissent de petites notes flûtées, d’alertes déhanchements. Parade, séduction, nuques brisées, cambrure étirée, les scènes se succèdent. Autour des corolles blanches que forment les robes des femmes circule un romantisme innervé. Le lyrisme court sur l’image d’une noce paysanne. Ailleurs, une évocation du martyre de Saint-Sébastien ou encore une rixe soudaine. Mais que la poésie des corps se teinte de tragique ou de distante dérision, elle porte chaque interprète à combler l’espace de son passage. Modulée, oscillante, la souterraine effervescence qui les meut distille une danse rebelle, qui viole les certitudes et garde son secret scellé dans le prisme d’un désenchantement raffiné.

I. Filiberti, « Catherine Diverrès mémoires passantes », Paris : Centre national de la danse (Parcours d’artiste) ; L’Oeil d’or, 2010, p. 68-69

dernière mise à jour : mai 2014

Chorégraphie
Réalisation
Année de réalisation
1990
Année de création
1990
Lumières
Pierre-Yves Lohier
Musique originale
Eiji Nakazawa
Interprétation
Luis Ayet, Thierry Baë, Fabienne Compet, Catherine Diverrès, Olivier Gelpe, Bernardo Montet, Marion Mortureux, Rita Quaglia, Loïc Touzé, Mitsuyo Uesugi
Scénographie
Catherine Diverrès
Production vidéo
Téo Hernandez
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