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Alla prima
Dans cette pièce pour dix danseurs et un musicien présentée au festival Montpellier Danse de 2005, Catherine Diverrès s’inspire de l’ouvrage de W. Faulkner « Si je t’oublie Jérusalem », pour interroger le lien social.
Pièce de groupe pour 10 danseurs et un musicien, présentée au festival Montpellier Danse en juin 2005, « Alla prima » trouve son point de départ dans l’une des deux nouvelles entremêlées dans le livre de William Faulkner « Si je t’oublie Jérusalem », intitulée « Vieux Père », pour poser la question du lien social : « La pièce ne part pas de l’homme surpassant ses forces pour vaincre et survivre à la violence de la rivière folle telle que Faulkner le décrit », précise la chorégraphe, « mais place les danseurs dans les atomes mêmes de la rivière de boue. De son moi individué, cloisonné, devenir organicité pure, fondue dans une matière-énergie, puis s’abstraire de l’informe, pour jouer l’énergie canalisée en des formes : l’écriture dansée. » (présentation de la pièce sur le site internet de la compagnie : http://www.compagnie-catherine-diverres.com/portfolio_page/alla-prima/)
Dans une scénographie imaginée par Laurent Peduzzi composée de modules mobiles envisagés comme autant de théâtres, les danseurs interprètent d’abord différents symptômes d’une solitude moderne, révélées progressivement par les lumières de Marie-Christine Soma. La liberté dont traite l’ouvrage de W. Faulkner est ici questionnée dans ses excès, politiques, sociaux ou amoureux. Dans un entretien « fouillant la relation entre individualisme et communauté », thématique centrale de la pièce, la philosophe Patricio Allio résume les réflexions de C. Diverrès : « Comment échapper à cet enfermement narcissique ? Comment vaincre cette illusion de liberté qui cache une aliénation plus profonde ? Comment sortir de soi sinon en explorant des modes paroxystiques de rupture ? Ainsi de la question de la privation du lien social, on en arrive à l’importance du chaos » (Patricia Allio, « Désordres ». In I. Filiberti, « Catherine Diverrès, mémoires passantes », Pantin : Centre national de la danse, L’Oeil d’or, 2010, p. 83)
Autre thème abordé par « Vieux Père », la volonté de maîtriser le désordre y est ici prise à rebours. La musique de Seijiro Murayama accompagne l’explosion des enfermements individuels dénoncés par la chorégraphe, générant un chaos qu’elle propose non pas de surpasser mais d’accueillir, d’expérimenter pour « réintroduire ponctuellement le sentiment de continuité perdu qui assure en retour la pérennité et la vitalité du lien social » (Patricia Allio, « Désordres ». In I. Filiberti, « Catherine Diverrès, mémoires passantes », Pantin : Centre national de la danse, L’Oeil d’or, 2010, p. 84).
Sans doute pour mieux mettre en scène ce chaos et donner à voir « la co-fragilité », d’après le concept forgé par le philosophe allemand Peter Sloterdijk, comme la « base d’une nouvelle manière de se rencontrer, de se tenir ensemble », la chorégraphe rompt avec ses habitudes et cherche des ruptures : « Tout comme les formes, la maladresse, le volontairement impolissé des gestes et des mouvements, le non-investissement psychologique ou mental des danseurs rompt avec la retenue, la distance, posées dans mes précédentes pièces. » (Notes d’intention, programme du CCN pour Alla Prima, 2005)
Si elle refuse de présager « d’un quelconque « tournant », ou extrapoler sur l’écriture » (Notes d’intention, programme du CCN pour Alla Prima, 2005) , c’est bien vers une conception et un rapport au temps renouvelés, dans la continuité de cette première collaboration avec le muscien Seijiro Murayama que s’orientera sa prochaine création : « Blowin’ ».
Claire Delcroix, mars 2016