Steve Paxton
De la post-modern dance au contact improvisation
Trouver de nouvelles voies
Steve Paxton (1939) est l’un des chorégraphes les plus radicaux de la post-modern dance américaine et le fondateur du contact improvisation. Il est né à Tucson, en Arizona, où il reçoit une formation de gymnaste ; il s’initie parallèlement à la danse classique et à la technique Graham. En 1958, il s’installe à New York et suit l’enseignement de José Limon et de Merce Cunningham. Un an plus tard, il danse dans la compagnie de José Limon. Il participe aux ateliers de composition de Robert Dunn dès 1960, et fait partie de la compagnie de Merce Cunningham de 1961 à 1965.
Steve Paxton participe à l’émergence du Judson Dance Theater. Comme beaucoup de danseurs de cette époque, il s’ouvre aux dispositifs mis en place par des plasticiens et s’en inspire pour créer ses pièces. Il se donne pour enjeu de faire perdre ses habitudes au public. Cette volonté de ne jamais s’enfermer dans une routine est constante chez lui, que ce soit au niveau de la création artistique ou des pratiques corporelles(1).
Une démarche sans concession
Steve Paxton participe également au collectif d’improvisation The Grand Union de 1970 à 1976, dans lequel se retrouvent Becky Arnold, Trisha Brown, Barbara Dilley, Douglas Dunn, David Gordon, Nancy Lewis, Yvonne Rainer et Lincoln Scott. Questionnant sa pratique au sein du Grand Union, Steve Paxton réfléchit à une forme d’improvisation où les performers sont solidaires. Il élabore les principes fondateurs du contact improvisation dont la pratique se développe rapidement aux Etats-Unis puis, à la fin des années 1970, en Europe.
Soucieux de trouver un rapport cohérent entre la vie, la société et l’art, il choisit d’être le moins dépendant possible des conditions économiques. Dans cette optique, il ne fonde pas de compagnie stable et s’installe dans une ferme du Vermont. Il fait alterner la mise en œuvre de pièces improvisées, la participation à des improvisations, les collaborations avec d’autres danseurs (Simone Forti, Anne Kilcoyne, Lisa Nelson), et l’enseignement.
Des œuvres engagées dans l’art et dans la vie
La marche de l’homme et celle du poulet : s’emparer du réel
Steve Paxton s’intéresse au fonctionnement du corps, à ses réflexes et à une économie du mouvement qui implique à la fois un savoir et une disponibilité. Dès l’époque du Judson Dance Theater, il travaille à partir du mouvement quotidien, qualifié en américain de « pedestrian movement »(2). Sa première pièce, « Proxy » (1961) commence par une série de marches et met en scène des actions ordinaires : l’un des danseurs boit un verre d’eau alors qu’un autre mange une poire. Dans « Smiling » (1968), deux intervenants sourient pendant cinq minutes. La marche est une thématique forte pour Steve Paxton à ses débuts. Dans « Satisfyin’ Lover » (1967), quarante personnes, réparties en six groupes, traversent la scène en marchant du côté cour au côté jardin.
Steve Paxton s’interroge sur l’usage du corps et sur l’image qu’il véhicule. Il fait souvent appel à des amateurs et, parfois à des animaux : chien (« Some Notes of Performance », 1967), poulets (« Somebody Else », 1967) ou lapins (« Title Lost Tokyo », 1964). Dans « Beautiful Lecture » (1968), il exécute de petits gestes entre deux surfaces de projection proposant respectivement une séquence de film pornographique et un extrait filmé du « Lac des cygnes » ; une bande-son diffuse parallèlement un texte sur les similitudes entre l’activité sexuelle et la danse classique.
Plusieurs pistes de recherche
Dans les années 1960, Steve Paxton suit diverses pistes de travail. En dehors de la marche et des gestes ordinaires, il s’intéresse aux environnements des danses et crée des structures gonflables qui constituent un décor mouvant : tunnel de trente mètres de long dans « The Deposits » (1966) ou énorme dispositif, évoquant le système digestif humain, que les spectateurs traversent dans « Physical Things » (1966).
Dans les années 1970, Steve Paxton propose des moments d’improvisation qu’il intitule « Dancing » (à partir de 1973), puis « With David Moss » (percussionniste qui participe aux improvisations à partir de 1974). En 1986, Steve Paxton se confronte à la musique de Jean-Sébastien Bach et conçoit « Goldberg Variations », qu’il danse pendant huit ans. Après la mort de son père, il crée « Ash » en 1997, présenté à Paris au Théâtre de la Bastille l’année suivante.
Art et politique : quels rapports sociaux et quelles formes d’organisation artistique ?
Steve Paxton est l’un des artistes les plus politiques de la post-modern dance. Tout au long de son parcours, il cherche à brouiller les frontières entre ordinaire et extraordinaire, intérieur et extérieur, art et organisation sociale. Les années 1960 sont une période de contestation où l’on cherche à créer de nouvelles formes de rapport entre les gens. Les préoccupations politiques de Steve Paxton se repèrent autant dans ses propositions scéniques que dans ses méthodes de travail et d’enseignement. Il tient à se démarquer des modes de fonctionnement où les chorégraphies sont « créées sur un mode militaire, avec un commandement, une hiérarchie »(3). Ses pièces relèvent essentiellement de l’improvisation et, même si leur cadre est clairement défini, elles ne sont pas « écrites » au sens traditionnel du terme.
Dans le travail corporel, Steve Paxton se démarque du procédé d’imitation où une personne reproduit la gestuelle d’une autre personne. Il ne sépare pas la danse de la société et certaines de ses pièces se réfèrent explicitement au monde politique. Il utilise des films sur la famine du Biafra, le Vietnam ou des discours du président des Etats-Unis pour souligner la cruauté de certains événements sociaux (« Collaboration with Wintersoldier », 1971 ; « Air », 1973). Steve Paxton s’attache à une conception démocratique du corps et de la relation à autrui, notamment dans le contact Improvisation.
Le contact improvisation : une « forme de mouvement communicative »
Des partages d’expérience par des transferts de poids
Steve Paxton définit ainsi le contact improvisation : « Associable à des formes familières de duos : l’accolade, la lutte, les arts martiaux ou le jitterbug(4), le contact improvisation peut aller de l’immobilité à des performances hautement athlétiques. La forme exige des danseurs qu’ils soient détendus, alertes, en état d’éveil constant, et qu’ils portent attention à la fluidité naturelle du mouvement. En contact les uns avec les autres, ils se mettent en état de créativité et de support mutuel, méditant les lois de la physique relatives à leur masse : gravité, momentum(5), inertie et friction. Ils ne visent pas à des résultats spécifiques mais à s’adapter au caractère changeant de la réalité physique par la posture et l’énergie appropriées »(6).
Le toucher et l’équilibre (évidemment apparié au déséquilibre) sont les bases de l’improvisation et de l’échange des informations entre les partenaires. Toute partie du corps peut être en contact avec une autre, excepté les mains. Ce dispositif permet de tracer de nouveaux trajets corporels.
Des sens multiples sont mis en jeu
Les ateliers de contact improvisation peuvent être présentés à un public, mais la présence de ce dernier ne doit pas modifier le travail perceptif. Ouvert aussi à d’autres personnes que les danseurs, le contact improvisation refuse les modèles à reproduire et leur préfère une expérimentation du poids, de l’espace et du temps produisant un mouvement « menant à des phrasés, des positions et des enchaînements imprévus »(7). Dans les premières années, Steve Paxton recherche avant tout une « forme de mouvement communicative ». Par la suite, le contact Improvisation est une « pratique physique alliée à un certain nombre d’études nouvelles sur le corps et l’esprit »(8). C’est une recherche incessante sur la diversité des sens et de la perception.
Depuis les années 1990, Steve Paxton est régulièrement invité en Europe, notamment en Belgique, pour participer à des événements autour de l’improvisation ou pour enseigner. En France, Didier Silhol et Mark Tompkins introduisent le contact improvisation à la fin des années 1970. L’association Canal Danse organise régulièrement des jams d’improvisation, invite des pédagogues et se montre très active dans le développement du contact improvisation à Paris. Par ailleurs, le Quatuor Albrecht Knust(9) remonte « Satisfyin’ Lover » en 1996.
Geisha Fontaine (2006)
(1) Steve Paxton écrit : « Nous devons utiliser ce que nous sommes devenus de telle façon que cet acquis ne nous soumette pas à la reproduction automatique de ce que nous sommes déjà » (Steve Paxton, « L’Art des sens », Mouvement, septembre 1998, p. 31).
(2) Le premier sens de « pedestrian » est : piéton (le mot signifie aussi : familier, plat).
(3) M.-C. Vernay, « Paxton, l’impromptu danseur », Libération, 28 octobre 1998, p. 32.
Source : Centre national de la danse