Bertrand D'At
Bertrand d’At est né à Dijon en 1957. Il y commence ses études chorégraphiques au conservatoire de cette ville avant d’être élu pour étudier à Mudra, l’école fondée par Maurice Béjart à Bruxelles, qui était alors le saint des saints pour les danseurs néo-classiques quand New York était celui des danseurs contemporains.
Après ses études, il intègre tout naturellement le Ballet du XXe Siècle, en 1978, pour devenir bien vite, dès 1984 l’assistant de Maurice Béjart alors établi en Belgique avec sa compagnie. Compagnie que Bertrand d’At suivra quand, sous un autre nom, elle s’installera à Lausanne. Depuis, il n’aura cessé, partout dans le monde, de remonter les ouvrages dont Béjart avait cédé les droits à des compagnies étrangères. Ce fut le cas par exemple à la Deutche Oper de Berlin avec Le Ring, vaste composition chorégraphique par laquelle Béjart voulut illustrer l’ensemble de la Tétralogie de Wagner et dont il confia la reprise allemande à son disciple.
Mais le plus remarquable de la carrière de Bertrand d’At fut sans doute son passage à la tête du Ballet national de Rhin, établi à Mulhouse, mais attaché également à Strasbourg et Colmar. Il y avait déjà laissé un magnifique souvenir avec son Roméo et Juliette, commandé par la direction d’alors, assumée par Jean-Paul et Jacqueline Gravier. De 1997 à 2012, Bertrand d’At, par ses soins méticuleux, son professionnalisme, son amour de la danse, aura fait du Ballet du Rhin l’une des meilleures troupes françaises, la meilleure de la décentralisation après le Ballet de Lyon. Et ce néo-classique intelligent et ouvert aura assez d’esprit pour appeler une chorégraphe « post modern » comme Lucinda Childs afin de monter des ouvrages pour sa compagnie. Elle y reprit entre autres son chef d’œuvre, Dance One, qui jamais n’aura été aussi brillamment interprété que par la troupe dirigée par Bertrand d’At. Ce fut un éblouissement qui aura les honneurs du Théâtre de la Ville, à Paris et aurait dû imposer davantage le Ballet du Rhin dans le monde. Cette réalisation est à compter parmi les plus belles réussites de la politique artistique de Bertrand d’At et de son état d’esprit généreux.
Sans jamais s’imposer, invitant largement de nombreux chorégraphes à créer pour sa troupe, il lui donne lui aussi quelques ballets dont un Lac des cygnes militant et fort peu orthodoxe. Il assure également la création française du Prince des pagodes de Benjamin Britten et porte à la scène une interprétation dansée du Chant de la terre de Gustave Mahler. Parallèlement Bertand d’At conçoit divers ouvrages pour les Ballets de Monte-Carlo, le Ballet de Nancy ou le Ballet de Zürich. Il se penche aussi avec intérêt et sérieux sur le jeune public en Alsace en assurant dans la bonne humeur des spectacles conçus pour lui.
Faut-il dire combien Bertrand d’At était apprécié des danseurs, ceux de sa troupe tout comme les innombrables artistes avec lesquels il travailla de par le monde ? Cela était dû évidemment à sa parfaite connaissance de son métier de maître de ballet, de chorégraphe et de directeur de troupe, à sa vaste culture chorégraphique, musicale et littéraire, mais bien plus encore à son doigté, à sa bienveillance, à sa totale absence de prétention, de vanité, d’agressivité. A sa droiture, à sa gentillesse. A son humour encore qui est l’arme, et la défense, des êtres assez intelligents pour ne pas étaler un ego surdimensionné. Ce sont sa discrétion, sa réserve qui auront été sans doute ses plus gros défauts. Quand tant de médiocres font résonner haut et fort leurs maigres exploits, il aura fait beaucoup d’excellentes choses sans jamais se mettre assez en avant.
Bertrand d’At, certes, aura été longtemps à la tête du Ballet du Rhin. Mais l’inélégance des tutelles quand on l’invita à abandonner son poste sans avoir de vrais projets pour le remplacer et sans que l’on se préoccupât le moins du monde de ce qu’il allait devenir, en dit long sur les indélicatesses des ministères et autres administrations locales. Certes, il a su rebondir en allant au devant des demandes des compagnies des pays d’Asie qui ambitionnent de se créer un répertoire à l’occidentale et qui ont beaucoup apprécié son savoir et son savoir-faire. Mais aujourd’hui qu’il a été emporté si brutalement, ceux qui ont été inutilement inélégants avec lui, voire hostiles, doivent en ressentir quelque honte.
Source : Raphaël de Gubernatis – Le Nouvel Observateur