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Né dans le quartier de Dube dans le township de Soweto en 1970, Ntiskelelo Cekwana, plus connu sous son surnom de ‘Boyzie’, commence par pratiquer le yoga et l’afro-jazz avant de découvrir la technique Graham et le style lyrique d’Alvin Ailey. Il suit l’enseignement du chorégraphe Carly Dibakwane implanté dans la zone de Meadowlands, avant de recevoir une bourse de trois ans qui lui permet de se former à la Johannesburg Dance Foundation : technique classique, technique graham… Il y rencontre les compagnies de danse les plus importantes du pays en particulier celle d’Adèle Blank : « Avec cette femme, on pouvait être passablement technique, mais si elle choisissait de collaborer avec vous, elle le décidait aussi en fonction de vos défauts et de ce qu’elle pouvait vous apporter pour les transformer. J’y ai cru. » En 1993, il devient chorégraphe résident pour la Playhouse Dance Company, une scène publique disparue en 1997, alors située à Durban dans la région du KwaZulu-Natal.
 

L’année 1994 est une année de consécration pour Boyzie Cekwana : il bénéficie des Standard Bank Young Artist Award et FNB Young Choreographers Grant – des récompenses dispensées par deux des plus importantes banques du pays – ainsi que le premier prix de la Third International Competition à Helsinki pour sa pièce « Brother, Brother » l’année suivante. Désigné « Wonderkind » (enfant prodige) de la danse sud-africaine, il tourne au sein de diverses compagnies internationales dont le Scottish Dance Theatre et le Washington Ballet pour lequel il crée la pièce « Savannah » en 1996 en coproduction avec le Kennedy Center for Performing Arts, à l’occasion de l’African Odyssee Festival.

En 1997, Boyzie Cekwana fonde sa compagnie à Durban, aux côtés de la performeuse Desire Davids : The Floating Outfit Project. Le nom de la compagnie revendique la flexibilité de fonctionnement : « Nous avions besoin de rompre avec les formats contraignants de la danse traditionnelle et des compagnies de ballet sud-africain. Nous avons imaginé une entité flottante, sans structure fixe ni danseurs permanents, qui permette à chacun de continuer à travailler avec d’autres dans le monde, tout en rendant possible la naissance de nos propres créations. Cela correspondait aussi à une nécessité économique. Pour une petite compagnie indépendante, il n’était plus possible de survivre en Afrique du Sud et plus réaliste de continuer nos parcours séparés pour pouvoir ensuite réinvestir les bénéfices dans notre projet commun. » (dossier de presse pour le festival Montpellier Danse, 2000). Outre la création de spectacles de danse, la compagnie souhaite également promouvoir la danse en Afrique au moyen d’ateliers et de projets. Boyzie Cekwana prend également part à des conférences internationales telles que « Inroads Africa » à New York en 1996, « Confluences 2 » au Cap en 1999 et à Afrique en création à Lille en 2000.
 

Les premières pièces qu’il crée pour sa compagnie sont « …like posing pictures with a smile » et « Rona », qui signifie « Nous » en langue sotho. Cette dernière pièce, conçue pour deux danseurs et un musicien, lui vaut le premier prix des 3e Rencontres chorégraphiques de l’Afrique et de l’Océan Indien à Antananarivo en 1999. Une grande tournée européenne s’ensuit : Cologne, Utrecht, Bruxelles, Londres, Vienne, et en France, à Strasbourg et Marne-La-Vallée…
 

Dans le cadre du festival Dance Umbrella de Johannesburg, il crée « Shift » en 2000, un trio qui interroge la place de la femme dans la nouvelle Afrique du Sud : « On parle trop peu de la dynamique de la peur et du pouvoir qui influence et met en place la politique des races, des sexes, de la violence, des droits humains, de l’amour, des préjudices… En Afrique du Sud, trop de silence règne autour de ces problèmes. Et ce silence est un problème en soi. Je n’essaie plus ici d’explorer la tranquillité, je l’explose. L’Afrique du Sud arbore aujourd’hui une ‘psyché’ nouvelle en réponse aux crimes isolés ou massivement organisés, qu’elle combine à la diabolisation stéréotypée du ‘mâle’ africain considéré comme une constante menace pour la société. Le spectacle interpelle ces ‘shifts’ et leurs lacunes dans le contexte sud-africain contemporain. » Et de préciser : « Le travail explore des problématiques qui vont du viol au crime et à la guerre en passant par le racisme et la religion. Il n’essaie pas de raconter une histoire linéaire et concrète. Il s’achemine latéralement à travers les images, le mouvement, la musique, le texte écrit et parlé, qui, je l’espère, véhiculeront l’effet subliminal d’un certain dessillement. » (http://archive.kfda.be/fr/2001/stl/stl05.html)
 

En 2003, il présente « Ja, nee » d’abord sous une forme expérimentale au Centre national de la danse, puis au festival Africalia de Bruxelles dans sa version définitive avant d’entamer une tournée européenne (Utrecht, Ljubljana, Limoges, Genève, Brest, Weimar, Berlin). En 2005, la pièce est programmée conjointement à « Rona » au Théâtre de la Ville (Paris). La même année, Boyzie Cekwana est invité par les Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis où il présente « Cut ! » créé au Dance Umbrella de Johannesburg, et imagine également une proposition inspirée de la fable « Le Cerf se voyant dans l’eau » dans le cadre du projet des Fables à La Fontaine porté par la productrice Annie Sellem, dans laquelle le cerf est remplacé par une gazelle.

En 2009, B. Cekwana initie la trilogie « Influx Controls ». Le titre fait référence à une loi discriminatoire établie en 1923 par le gouvernement sud-africain visant à empêcher les noirs de se déplacer et de s’installer librement dans les villes. Au coeur de cette trilogie, le sujet de l’identité humaine dans le contexte de l’apartheid et du colonialisme mondial. La première partie, « I wanna be wanna be » est un solo inspiré d’un voyage en République démocratique du Congo, présenté au Kaaitheater de Bruxelles. Il trouve son point de départ dans la profonde indignation ressentie face à la déshumanisation – tant dans le passé qu’à l’heure actuelle – de l’Afrique, de ses peuples et de son patrimoine, et se transforme en jeu autour des identités et de leur ambiguïté. Le deuxième volet « On the 12th night of never, I will not be held black » est créé en mai 2010. Il y explore « la crise identitaire de l’Afrique à l’ère postcoloniale et partage la scène avec Pinkie Mtshali, une chanteuse d’opéra dont la carrière s’est vue freinée par un physique « non conforme ». De la politique individuelle du corps au corps global de la politique, le spectacle questionne la façon dont, à travers le regard des autres, l’identité est construite par les stéréotypes. Comment l’Afrique peut-elle pulvériser le prisme « tiers-mondiste » pour se réinventer ? Engagé dans le développement d’une création artistique autonome sur le continent noir, Boyzie Cekwana se lance dans le combat avec un immense talent. » (Kunsten Festival des Arts, programme 2010). « In the case of fire, run for the elevator », le dernier volet de la trilogie, est un trio où s’incarnent l’Amour, le Pouvoir et les Privilèges aux prises avec les inégalités alimentaires : « Ceci est une histoire de nourriture et de sa poésie complexe, inégale et invisible, raconte le chorégraphe. Racontée par l’intermédiaire de trois personnages “universels”qui représentent l’amour, le pouvoir et le privilège. C’est l’histoire de la nourriture en tant que réalité de la différence, le terrain d’entente pour tout ce qui est commun et inégal. Dans cette pièce, nous présentons une comédie musicale silencieuse, d’interventions rythmiques à la partition entendue uniquement par les interlocuteurs. Ceci est donc notre essai médiocre sur l’inquiétude d’un ventre en colère, grognant face au vacarme assourdissant de la bienséance culinaire. » (Institut français, Saisons croisées 2012-2013 France-Afrique du Sud). 

En 2011, il présente « Crosswords puzzles », une pièce pour 8 danseurs du CCN-Ballet de Lorraine dont la construction s’inspire des mots-croisés imprimés dans les journaux : « De même nous voulons réfléchir à une sélection personnelle de phrases chorégraphiques interprétées, et les restituer par rapport à l’individu. L’idée sera développée avec un groupe de quatre danseurs et peut-être concentrée sur les idées d’explorer la friction, où la tension entre des identités vraies et fictives. Ces identités peuvent être manipulées pour créer et recréer des versions individuelles « authentiques » et/ou inventées. »

Dans « The Inkomati (Dis)cord », sa dernière création qu’il présente en France lors du festival Montpellier Danse 2013, il chorégraphie aux côtés du chorégraphe mozambicain Panaibra G. Canda avec qui il a déjà collaboré pour le développement d’un groupe de réflexion the South-South Think Tank, visant à promouvoir des artistes et à faire circuler leur travail dans l’hémisphère sud. une pièce inspirée du pacte de non-agression signé en 1984 par le Mozambique de Samora Machel et l’Afrique du Sud de Pieter Botha, portant le nom du fleuve qui sépare les deux pays antagonistes.

En savoir plus

Vernay, Marie-Christine. « Boyzie Cekwana Soweto en couleurs ». Libération, 6 juin 2013.

Boisseau, Rosita. « Tensions nues, tensions noires », Le Monde, 9 mai 2010.

Boisseau, Rosita. « Boyzie Cekwana, les pas du passé sud-africain ». Le Monde, 12 janvier 2005.

Boisseau, Rosita. « Boyzie Cekwana s’attaque à l’oisiveté mortifère en Afrique du Sud ». Le Monde, 7 janvier 2005.

Mensah, Ayoko. « “Shift” : Boyzie Cekwana brouille les pistes », Africultures, 1er mai 2001.

Bedarida, Catherine. « Une danse moderne émerge en Afrique », Le Monde, 18 novembre 1999.

Pienaar, Samantha. « Boyzie Cekwana : the South African dancing body in transition », Th : Art : université de Rhodes : 1996.

Dernière mise à jour : novembre 2013

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