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Ibéré
(Extrait)
Initialement, Ibéré est un projet de fin d’étude créé début 2021 dans le cadre du Diplôme en Danse Traditionnelle et Contemporaine de l’Ecole des Sables (Sénégal). Orphée Ahéhéhinnou conçoit alors une pièce pour quatre danseurs dont le thème prolonge celui de son précédent solo, Prisonnier de son ombre (2018) : la jeunesse et de la cybercriminalité, phénomène qui sévit tout particulièrement au Bénin. En décembre 2021, lorsqu’il obtient une résidence de création lors du Festival Connexion#2, organisé par le Centre Multicorps – Marcel Gbeffa de Cotonou, il reprend la pièce sous la forme d’un solo et se tourne vers un sujet plus politique. Les restrictions et autres mesures gouvernementales liées à la pandémie de Covid, qui ont impacté l’Europe dès mars 2020 puis, plus tardivement l’Afrique, ont engendré chez le jeune chorégraphe un autre questionnement, terme qui, en langue yoruba se dit « Ibéré ». A l’époque, il jouait dans Didé, une pièce remarquée du chorégraphe Marcel Gbeffa qui devait tourner en France et en Afrique dans le cadre de la Saison Africa 2020. Sa carrière d’interprète qui semblait démarrer fut brutalement stoppée. Contraint de rester confiné, privé de tournées, d’activité et de liberté, il vécut douloureusement cette période, avec le sentiment de subir, jusque dans sa chair, des décisions politiques absurdes, dictées par les intérêts mercantiles des gouvernants du monde acoquinés aux patrons de multinationales.
Dans Ibéré, Orphée Ahéhéhinnou soulève de nombreuses interrogations concernant la période que la planète entière vient de traverser et dont les populations ressortent abimées. Il l’aborde en mettant en perspective d’un côté le citoyen enfermé, qui subit, qui souffre, celui dont la contestation est étouffée par le bruit des canons lacrymogènes, des tirs de flash-ball, et de l’autre, les quelques dirigeants, hommes puissants, arrogants, qui se réunissent en petits comités, comme le G20, pour décider du sort de l’humanité et imposer des mesures drastiques aux populations qui servent en réalité leurs propres intérêts. Concevant l’artiste comme la voix des sans-voix, le chorégraphe se saisit de la scène comme lieu d’expression, de révolte, pour soulever les questions fondamentales que tout citoyen, contraint lors de cette étrange période de se taire et de subir, peut se poser : les décisions politiques, comme le confinement, ont-elles vraiment été prises pour notre bien ? Notre santé est-elle véritablement protégée par un masque et un vaccin dont la vente engendre des profits faramineux ? Quelle liberté le citoyen et même l’artiste dispose-t-il si, pour voyager ou exercer son métier, il doit contre son gré se faire vacciner ? Tout cela ne serait-il pas qu’une immense manipulation ?
Au début du solo, une voix intérieure parle : « Pourquoi ? Qu’est-ce qui n’a pas marché ? (…) Je ne sais plus quoi penser, répond s’il te plaît, 2020. Réponds ! Ma tête tourne, je ne sens plus mes bras, mes jambes sont confondues au sol, la mémoire de mon corps perd sa raison d’être, mon cœur saigne, je perds le goût du salé, je ne sens plus l’odeur du vent, je suis dans l’impasse, je suis vide, covid ? covid ? »
Les deux extraits mis ici en perspective donnent à voir la confrontation entre peuple et dirigeants. Tandis que le citoyen harassé de doutes, de questionnements, se recroqueville, asphyxié par des mesures oppressives, un fortuné personnage, paré d’un manteau façon haute couture composé d’un assemblage de masques chirurgicaux, appelés cache-nez au Bénin, se pavane et affiche avec insolence sa richesse que la pandémie lui a manifestement permis d’accroitre.
Première sortie de résidence de création : Festival Connexion#2, Cotonou, décembre 2021.
Seconde résidence de création : Février 2022 : Centre Multicorps – Marcel Gbeffa, Le Centre – Lobozounkpa, Afrika Sound City (Cotonou).
Captation le 3° décembre 2023, Paillote de l’ Institut Français du Bénin, Cotonou.
Source : Interview d’Orphée Ahéhéhinnou par Anne Décoret-Ahiha, 27 avril 2024, Cotonou, Bénin.