Guy Delahaye
Guy Delahaye, photographe
Que la photographie accompagne la danse pour la sublimer, pour lui donner une postérité, est chose admise; la relation de Guy Delahaye au travail de Jean-Claude Gallotta est, elle, bien autre chose qu’un simple accompagnement. Elle longe si fidèlement la voie chorégraphique de Jean-Claude Gallotta depuis plus de trente ans qu’elle en est devenue indissociable. Chorégraphies de l’un et photographies de l’autre s’appartiennent, se dévoilent mutuellement, entrainant parfois le spectateur à confondre dans son souvenir la séquence réellement vue, sur la scène, et son reflet sur papier baryté. C’est sans doute parce que les photographies de Guy Delahaye ne sont pas des images, ce sont des histoires. Ce ne sont pas des instantanés, ce sont des petites constructions de durée. Ce ne sont pas des one shots, ce sont des preuves de fidélité. Elles n’invitent pas seulement au regard, elles proposent un bout de chemin, font la conversation à celui qui veut bien le suivre.
Au geste photographique qui se réduit à un clic, voire à une rafale de clics automatiques, Guy Delahaye oppose sa geste, une longue geste poétique où se raconte la vie des héros de la scène. De la prise de vue (« je ne photographie que les gens que j’aime », dit-il) au travail secret dans la nuit du laboratoire jusqu’à l’accrochage, manu artitiani, sur les murs et les cimaises, il est question de passion, osons, d’amour. Avec Jean-Claude Gallotta, l’histoire se poursuit depuis plus de trente ans, obstinément, indéfectiblement, infatigablement.
Certes, on ne peu réduire l’aventure humaine et artistique de ce Picard têtu qui aura donné sa vie à l’acte scénique et à beaucoup (pas tous…) de ceux qui l’accomplissent à de simples chiffres. Tout de même : un million de négatifs constituent l’oeuvre de Guy Delahaye, soit un million de fois son oeil posé sur cet instant éphémère fait d’un mouvement, d’une lumière et d’un corps, qui serait, sans lui, à jamais perdu.
Guy Delahaye est dit photographe de spectacle. Soit. Mais du spectacle, du moins du spectaculaire, ses photos se débarrassent, au point que je n’y vois rien d’autre que des moments de vie. De l’une d’elles, Didier-Georges Gabily a dit qu’elle était « austère et un peu folle, sans effets, sans joliesse, justement habitée ». Avec Jean-Claude Gallotta, le plus beau de la rencontre est là : le photographe « prend » les interprètes comme le chorégraphe les veut, comme des gens. La frontière entre la scène et la vie réelle est abolie. Ce qui ferait la spécificité de la scène (le geste cent fois répété à l’identique) disparait. La photographie est là pour surprendre ce « jamais plus », pour, peut-être, lui donner un sursaut de vie. La scène, aussi bien chez Guy Delahaye que chez Jean-Claude Gallotta, vole à la vie réelle son unicité.
Pour cela, les photos (de spectacle) de Guy Delahaye creusent les corps et les visages. Il ne s’agit pas de montrer le sujet beau ou laid, il s’agit de le montrer; lequel pourra parfois mettre du temps à s’y reconnaître, habitué qu’il est à se vouloir beau ou à se fuir laid. Ce n’est pas le propos du photographe. Son travail est de creuser, excaver le papier pour révéler du sujet un peu de sa vérité. Il s’agit d’arrêter le mouvement, et non pas de faire semblant de le suivre, voire de l’enjoliver, pour se montrer aussi virtuose que lui; d’arrêter le mouvement de la danse pour voir ce qu’il y a l’intérieur. Aucun spectateur n’a accès à ces états intimes du danseur ou de la danseuse au moment où il accomplit son geste. Guy Delahaye a pour tache de les dévoiler, de les débusquer. La photographie qui est réputée saisir l’actuel, se fait ici plus fouilleuse encore, elle dit de l’actuel le moment imperceptible : une sensualité, un trouble, une audace, une densité, une exactitude, un désir. Y aurait-il alors trahison? Guy Delahaye l’affirme. Il trahit. Ce serait là sa mission: trahir encore et encore pour continuer à boire au calice artistique et humain auquel il croit le plus, son Graal : la fidélité.
Claude-Henri Buffard