Ce contenu contient des scènes pouvant choquer un public non averti.
Souhaitez-vous tout de même le visionner ?
Käfig
Le titre de cette pièce inaugurale Käfig, « cage » en arabe et en allemand, indique le parti pris d’ouverture du chorégraphe Mourad Merzouki et son refus de s’enfermer dans un style. Le hip-hop étend son territoire d’expression sans perdre de vue son histoire.
« Notre ambition est de parvenir à raconter notre histoire à partir de la gestuelle et de l’énergie hip-hop qui est la nôtre et de proposer le spectacle le plus juste possible au niveau de l’écriture chorégraphique. »
« Nous voulions parler de notre façon de vivre dans le hip-hop et dans la société d’aujourd’hui. C’est l’enfermement qui est apparu comme une constante. Ce n’était pas pour rien que nous avions envie de faire des rencontres et de nous tourner vers d’autres cultures. C’est de ces interrogations que s’est nourri le spectacle.
On traverse une période difficile ; or, nous avons de plus en plus envie de nous exprimer, de faire savoir que nous existons. On a choisi le hip-hop car nous nous retrouvons dans cette énergie et que nous souhaitons parler par la danse. C’est un mode d’expression.
Nous nous définissons comme compagnie hip-hop et pourtant certains disent : ’Attention, ce n’est plus du hip-hop, c’est du contemporain.’ Nous sommes une compagnie hip-hop à la recherche d’une écriture chorégraphique. Même si notre écriture est proche de l’écriture contemporaine, notre danse n’a rien à voir avec la gestuelle contemporaine.
Pourquoi ferait-on exclusivement du hip-hop ? Tout se mélange et se marie aujourd’hui, il faut juste savoir à quelles doses pour ne pas se perdre. On s’enrichit à partir du moment où on partage. »
Mourad Merzouki, 1997
« Käfig pour l’esprit en quête de liberté
Cage pour définir les limites imposées
Quel que soit le milieu, quel que soit le but moral
Nul ne pourra atteindre une liberté totale »
Nati’k
Source : CCN de Créteil
Danse-Ville-Danse
Rencontres artistiques et confrontation des publics
Grand Lyon Mission Prospective et Stratégie d’agglomération – Les enjeux de la reconnaissance du hip-hop
Les cahiers Millénaires
Par Virginie Milliot-Belmadani
La break danse s’est développée depuis le début des années 1980 dans les banlieues populaires de l’agglomération lyonnaise. Elle a été réinventée par des jeunes qui se sont d’abord identifiés à ce que le mouvement Hip Hop représentait. Ils ont progressivement pris place dans l’espace public de leur quartier, puis du centre ville, pour se défier et s’entraîner à dessiner sur le béton armé, des mouvements circulaires et saccadés, avec l’énergie toute particulière de ceux qui s’engouffrent dans une brèche de possibles.
Depuis, le Hip Hop français à fait son chemin… Dans les espaces temps de ce mouvement, la break danse s’est développée selon sa propre dynamique. C’est une danse individuelle ou duale qui se déploie au centre d’un espace circulaire constitué par un public participant. Sous les regards du cercle, les danseurs s’évertuent à réaliser un ensemble de figures codées – la toupie, la couronne, etc.- selon une logique de performance, ou dansent face à face, selon la logique du défi. Chacun doit s’approprier ces figures référentes et réaliser à partir de ce langage commun, une performance originale. C’est un langage artistique en perpétuelle évolution, qui se transmet et s’enrichit, de la pratique à la pratique, de répétitions en récréations, d’improvisations en innovations…
Le passage « de la rue à la scène » ne s’est pas réalisé sans transformations. Mais la dynamique créative propre à ce mouvement reste particulièrement vive. Des événements comme « danse, ville, danse », montrent la diversité foisonnante des réinventions, croisements et métissages qui se sont effectués en France à partir de ce premier langage. Ils font se rencontrer des artistes issus de ce mouvement qui, comme Aktuel Force, cultivent et revendiquent l’authenticité et l’intégrité de leur danse, d’autres qui, comme Zoro, inventent un langage à la croisée de la break danse et du Buto japonais – ou de la danse africaine, la capoeira, ou la danse contemporaine – et d’autres enfin, comme la compagnie parisienne Quintessence, qui inventent un langage hybride, entre danse et image virtuelle, Hip Hop, danse classique et danse contemporaine…
Ces innovations sont différemment évaluées par les différents publics concernés. Lors de ces « danse, ville, danse », deux mondes, avec chacun leurs critères d’évaluation, leurs conventions artistiques et leurs manières d’apprécier, se trouvent rassemblés… et la confrontation de ces publics nous rappelle ce lien analysé par Pierre Bourdieu entre les « règles de l’art » et « l’art de vivre »…
« Danse, ville, danse » 1997
De jeunes amateurs de Hip Hop sont venus de toute la France pour assister à ces rencontres. La Maison de la Danse a joué chaque soir à guichet fermé. Les abonnés se sont retrouvés à côté d’un public inaccoutumé aux règles des théâtres. Dans le monde du Hip Hop il n’existe pas de séparation entre scène et spectateurs. Le public s’enroule autour des danseurs et participe activement à la réalisation des performances. Cette forme renvoie à une autre manière d’être ensemble, de faire-société et à une autre définition de l’individualité. Le public traditionnel de la Maison de la danse habitué à cette séparation historique, distinguant spectateurs passifs et silencieux et acteurs, a été un peu déboussolé par l’ambiance qui a régné ces soirs-là. Les jeunes réagissaient et manifestaient bruyamment leurs appréciations.
Certains s’époumonaient à essayer de les ramener au calme. Mais face à la vitalité du jeune public, ils ont fini par céder ou par accepter que la Maison de la danse soit pour un soir investie de l’énergie du mouvement qu’elle mettait en scène. Deux manières de concevoir le spectacle et le rôle du public s’affrontaient : l’appréciation silencieuse, polie et policée du public traditionnel, et celle agitée et mouvementée des jeunes qui étaient en nombre. Ils reconstituaient à leur manière, dans ces lieux où scène et salle se font face, la dynamique du cercle, en se réappropriant un rôle de public participant. Ils applaudissaient et soutenaient les danseurs qu’ils connaissaient, où dans lesquels ils se reconnaissaient, et sifflaient ou vannaient les réalisations qu’ils considéraient comme étant déplacées dans ce « festival » de leur propre culture… Les réactions suscitées par le spectacle de la compagnie parisienne Quintessence illustrent ces différentes logiques d’appréciation et d’évaluation.
Une scène présentait deux danseuses. La première, ronde, petite et africaine, est entré en scène en faisant rouler ses hanches…
elle a été accueillie par les acclamations du public. La seconde, mince, grande et blanche, est entrée sur ses pointes, raide
comme un i…. les jeunes se sont mis à siffler. Un rappeur lyonnais hurle dans la salle ”C’est bon Sophie, on vous rappellera”…
Éclats de rire des uns, ”Chut !” agacés des autres. Une autre scène présentait un danseur occidental, rasé, qui virevoltait entre
plusieurs danseuses. Au cœur du silence attentif, quasi religieux du public traditionnel, une voix s’élève au cœur des tribunes : ”Ho,
Monsieur propre, tu sais pas que la polygamie s’est interdit ?”…
Les jeunes font leur propre spectacle. Avec humour et véhémence, ils rappellent leurs propres conventions. Ainsi, si le public des habitués de la Maison de la Danse, apprécie et applaudit une ”écriture” chorégraphique, les jeunes saluent et acclament les performances. A la fin de chaque spectacle, ils envahissent progressivement la scène, pour reconstituer le cercle des défis, qui est souvent évacué par cette mise en spectacle de la break danse. Les jeunes breakeurs sont impatients d’affronter ces danseurs reconnus, de se montrer, de se défier, mais aussi de regarder d’un peu plus près, et d’apprendre les nouvelles variantes des figures référentes de la Break Danse. La scène déborde bientôt de danseurs, et le « free-style » s’emballe, le niveau monte. De parfaits inconnus réalisent bientôt des performances supérieures à celles des danseurs reconnus… Le ”staff” de la Maison de la Danse, désireux de ne pas se laisser déborder, baisse doucement les lumières. Les breakeurs quittent la scène, mais le cercle se
reconstitue dans le hall de la Maison de la Danse. Ils continuent à danser, à se défier, sur le sol froid et dur de l’entrée de ce temple de la culture, comme pour se réapproprier l’événement. Pour stopper cette effusion créative, il faudra encore une fois éteindre les lumières. Les breakeurs sont tranquillement poussés au-dehors, mais les défis continuent. La break danse retourne là où elle a commencé, dans la rue, sur le trottoir de la Maison de la Danse.