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Les pas perdus
Aranzaquil et Les pas perdus
La création de ces deux pièces à La Maison de la Danse en décembre 1983 était pour moi l’occasion d’une véritable première création de groupe après une expérience malheureuse deux ans auparavant dans le cadre du Festival d’Avignon.J’étais assez peu expérimenté dans la communication autour de mes œuvres et, de plus, je ne me souviens pas qu’il y ait eu l’occasion d’écrire quelques lignes d’intention pour le programme distribué aux spectateurs.Je voudrais profiter de l’occasion de cette initiative d’archivage pour revenir sur ce qui a sous-tendu l’écriture de ces deux ballets qui ont été conçus comme un véritable dyptique.A cette époque j’allais régulièrement voir les mises en scènes de Peter Brook au Théâtre des Bouffes du Nord et j’avais été profondément marqué par son film « Rencontre avec des hommes remarquables » d’après l’œuvre de Georges Gurdjieff, sorti en 1979.Le film retrace la quête spirituelle de Gurdjieff parti à la recherche d’une mystérieuse confrérie, qu’il finit par trouver dans le désert de Gobi au terme d’un long voyage. Il découvre là une petite communauté pour laquelle la recherche d’élévation passe par une pratique assidue de la musique et de la danse. Il y a une d’ailleurs une scène de danse qui m’avait particulièrement impressionné par saclarté et sa puissance.Mais ce film m’a surtout révélé l’existence d’une tradition dont je n’avais jamais entendu parler auparavant, et dont la dimension à la fois initiatique et communautaire venait renforcer l’aspiration à relier la recherche spirituelle et la pratique artistique qui était la mienne à cette époque.Ces deux pièces créées à Lyon en 1983 étaient pour moi une manière de rendre compte de l’impact de ce film.Les pas perdus a donc été conçu à partir des éléments qui m’avaient marqué dans cette scène de danse du film : une construction et une géométrie rigoureuses prenant appui sur une rythmicité très présente. J’ai demandé à Denis Levaillant d’écrire une partition sur une base de neuf temps qui offre de multiples combinaisons internes, et il m’a proposé de la faire interpréter au Zarb, instrument depercussion traditionnel d’origine Iranien, par Youval Missenmacher.J’ai écrit une douzaine de phrases chorégraphiques sur cette base de neuf temps sur laquelle s’appuie presque la totalité de la danse, en jouant sur une multiplicité d’orientations de chacune des phrases, et sur des combinaisons de duos, trios, quatuors, etc.Mais dès le départ je savais que cette danse ne constituerait qu’une partie du programme et qu’il devait y avoir une suite qui rendrait compte de la menace qui me paraissait peser sur la transmission de certaines traditions.J’ai donc imaginé une deuxième partie sous forme de débâcle d’un petit groupe de personnes violemment chassés de leur territoire et contraints à un exode qui les coupe de leurs racines culturelles. J’ai inventé le nom d’un village, « Aranzaquil », situé pour moi en Afghanistan, avant l’invasion par l’Union soviétique.Cette partie du dyptique, à l’inverse de la première, entièrement écrite comme une partition, a été composée à partir d’une multitude de scènes résultant d’improvisations proposées aux danseurs à partir de différents thèmes liés à l’exode, à la déportation et à la perte de repères culturels et spirituels, dont l’enchaînement montre la progression du déracinement intérieur des personnages.Dans cette deuxième partie la composition de la musique a suivi celle de la danse, Denis Levaillant venant au studio voire l’avancée de l’écriture des séquences successives et composant alors la musique au fur et à mesure de celle-ci.Les costumes, comme les décors, ont été imaginés et réalisés par Francis Coulet. Les costumes étaient inspirés de vêtements villageois traditionnels (à base de kimonos japonais), de manière rituelle dans la première partie et plus quotidienne dans la deuxième.La conception des éclairages est de John Davis, que j’avais bien connu en tant qu’éclairagiste de Carolyn Carlson au GRTOP.C’était ma deuxième collaboration avec Denis Levaillant après notre duo « D. D. Blue Gold Digger » présenté au Centre Georges Pompidou en 1982.
Dominique PETIT
Décembre 2021