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Contemporain - Épreuves de danse 2022 - Variation n°14 - Fin de 3ème cycle diplômant (D.E.C.), fille 2ème option
La variation est un extrait de la pièce Foray Forêt (1990). Cette pièce est interprétée accompagnée par une musique traditionnelle jouée par une fanfare locale. Les costumes et la scénographie sont de Robert Rauschenberg et les lumières de Spencer Brown avec Robert Rauschenberg. Il s’agit d’une reconstruction à partir d’éléments de la pièce.
Foray Forêt fait partie du cycle Retour à Zéro. La chorégraphie de cette série s’appuie sur un mouvement gestuel abstrait qui bien qu’il ne soit pas simplement identifiable ou catégorisé mais porte une sorte de sens ou d’idée. Tout au long du processus chorégraphique, Trisha Brown a tenté d’« élargir sa conscience » afin de faire des choix chorégraphiques à partir de son subconscient, tout en utilisant des phrases de mouvement de base dans différents modes de composition.
« Retour à zéro était un retour à des formes simples et à un vocabulaire de mouvement dans lequel j’abandonnais l’artifice de l’intelligence. J’ai développé un vocabulaire de mouvements subconscients à travers l’activation du geste avant que l’esprit ne soit engagé. Je les appelais des aberrations délicates. Une fanfare jouant Sousa a marché autour de l’extérieur du théâtre et dans certains cas est entré dans le hall. (Chaque théâtre nécessite un itinéraire différent pour le groupe.) J’ai pensé au temps : le public peut laisser venir un souvenir d’un défilé et remonter le temps (où êtes-vous ?), tout en regardant une chorégraphie sur la scène faite de petits détails en combinaison avec un vocabulaire plus large plus énergique, tout en rassemblant l’emplacement et le chemin du groupe à l’extérieur ou dans le hall (que voyez-vous ?). »
Trisha Brown
Pécisions pédagogiques :
Dans un 1er temps, les danseurs apprendront les mouvements essentiels de la phrase. Tout en comprenant les exigences et la forme du mouvement, l’ordre et la manière de les relier, ils chercheront aussi à trouver l’initiation juste du mouvement en visionnant la vidéo. Le point de départ et le point de chute de chaque mouvement devra être clair.
La compréhension du sens et de la qualité du mouvement doit être transmise aux danseurs. Ils seront amenés à réfléchir la manière de créer un lien entre leur propre corps et les matériaux proposés. En effet, la compréhension de la chorégraphie de Trisha Brown, passera nécessairement par une appropriation personnelle.
Au fil du temps nous avons pu voir se transmettre cette œuvre, de génération en génération. Et si la logique du mouvement conserve toujours l’intention originale, elle se développe avec les nouveaux danseurs.
Lorsque les matériaux s’animent pour faire œuvre, la structure, la relation entre les danseurs, produisent des changements extrêmement riches, et multiplient les facettes de la pièce. Organique, scientifique, détendue, ces concepts rationnels et géométriques, qui respectent les lois de la nature, sont porteurs de la vitalité des jeunes générations.
Dans la deuxième période de travail, les danseurs seront amenés à dialoguer avec ces phrases au fil du temps, le mouvement devant être complètement intégré afin qu’il n’y ait plus de problème de mémoire.
Lorsque les danseurs auront complètement assimilé ces concepts, les corps et les mouvements entreront en dialogue. Détendus et actifs comme un enfant qui joue, ils pratiqueront les phrases comme dans une aventure ludique à chaque fois renouvelée, en laissant le corps expérimenter la logique et le plaisir du mouvement.
Le travail de Trisha Brown n’est pas une science immobile, il faut mettre en perspective la rigueur et la passion.
C’est un long chemin qui nécessite beaucoup de pratique.
Une des caractéristiques majeures de la création de Trisha Brown est que sa chorégraphie laisse beaucoup d’espace à la personnalité et au corps de chaque danseur. Sa chorégraphie est singulière et savoureuse ; les détails raffinés, la prise en compte des forces externes, les forces organiques, la gravité, le déplacement du centre de gravité, la subtilité de la relation entre des mouvements, et la structure corporelle fascinante, trouvent leur sens dans l’ordre et la relation organiques de chaque corps, plutôt que dans un rapport normatif à la forme du mouvement.
Chaque danseur utilisera sa propre compréhension au service de la même chorégraphie. Par conséquent, dans l’apprentissage de cette œuvre, les danseurs devront être respectueux des concepts qui sous-tendent les mouvements et toujours attentifs à l’intention initiale de la chorégraphie.
Dans la dernière étape de l’apprentissage, les danseurs s’appliqueront à comprendre les forces organiques et la logique dynamique : il s’agit à chaque instant de percevoir la gravité causée par la chute d’une partie du corps.
Comment utiliser l’inertie pour effectuer le mouvement suivant ?
Comment utiliser la tension minimale des différents muscles pour être dans une économie de moyens ?
Comment traverser une structure dynamique, géométrique, abstraite et rationnelle avec son propre corps ?
L’inertie et la logique du mouvement de la chorégraphe respecte un temps organique, se libérant du rythme de la pensée habituelle.
Il n’existe pas une musique originale de cette danse. Lors des tournées de Foray, Forêt, des musiciens locaux proposaient une musique singulière et donc différente à chaque fois qui n’interférait pas avec le travail des danseurs, mais donnait aux spectateurs une dimension supplémentaire au spectacle.
Pour cette raison, nous avons fait le choix d’une variation dans le silence qui permet au danseur de tisser son rapport au temps.
Pour entrer dans le mouvement avec la qualité de naturel souhaité, Trisha Brown engage ses danseurs à traverser la phrase chaque jour sans volonté de performer, en la marquant afin d’être à l’écoute de comment le mouvement dialogue avec l’état corporel du jour. Ainsi, le mouvement devient une part des habitudes, comme les actions de la vie quotidienne. Cela rend possible le fait de ne pas avoir à penser au mouvement, que celui-ci existe dans la singularité de chaque personne.
Le danseur ne cherche pas délibérément à modifier le mouvement, mais laisse le mouvement trouver sa place le plus facilement possible sans tension.
Le visage du danseur est partie intégrante du mouvement. Il n’exprime pas, ni ne montre quelque chose. C’est un visage concentré et neutre d’expression volontaire ; cependant il peut au fil de la danse s’animer de ressenti réel du danseur.
Différents danseurs peuvent danser le même extrait de la chorégraphie de Trisha Brown ; ils auront toujours de nombreuses façons d’exprimer leur vitalité singulière aux travers des mêmes matériaux. DAI Jian
Analyse labanienne de cette variation proposée par Pascale Laborie :
Cette analyse prend appui sur trois catégories qui participent de l’analyse du mouvement Laban Bartenieff : Corps, Dynamique (théorie de l’Effort), Espace1. A cela, s’ajoute la notion de phrasé nécessaire à l’appropriation rythmique.
Le corps
L’ancrage, les connexions corporelles fines, l’alignement dynamique sont les grandes qualités corporelles requises pour aborder le mouvement dansé et la variation étudiée ici met ces éléments en jeu dans une relation particulièrement étroite à la conscience gravitaire et au support respiratoire.
Ici le corps se meut avec des mouvements/actions simples telles que sauter, tourner, se déplacer, aller au sol et dans une amplitude médiane, respectueuse de ses limites « organiques ». Les bras et le bassin sont utilisés comme éléments moteurs souvent initiateurs du mouvement (rarement utilisés de façon segmentaire).
Le travail de Trisha Brown2 nécessite une mise en jeu des connexions corporelles fondamentales telles que décrites par Irmgard Bartenieff3 afin de permettre une libre circulation du flux de mouvement à travers le corps dans un dialogue entre les trois volumes du corps (tête, cage, bassin).
C’est à travers des initiations par différentes parties du corps (articulations ou surfaces) et un jeu gravitaire (micro-effondrements, déséquilibres, chutes, suspensions…) que se produit le mouvement.
Proposition : Un état des lieux des grandes connections corporelles (centre périphérie, relation tête coccyx, relation homologue, homo-latérale et contra-latérale) pourrait introduire un travail exploratoire autour de l’engagement du poids, moteur de l’élan grâce à des actions simples (marcher, sauter, sautiller, rebondir, repousser et tirer, atteindre) dans le respect des limites articulaires et ligamentaires.
Les dynamiques
Elles sont étudiées ici à partir des facteurs de l’effort décrits par Rudolf Laban, auxquels sont associés des éléments ou polarités qui les constituent : Espace/ciblé ou indirect, temps/soudain ou soutenu, poids/ferme ou doux, flux/contrôlé ou libre4.
On observe que les alternances dynamiques sont ici organisées autour des facteurs dominants :
⁃ Le poids
Une alternance entre : une relation au poids actif (variantes autour de l’action de repousser, poids actif fort, temps soudain et espace direct) et une relation au poids passif (variantes autour du laisser faire gravitaire/abandon à la gravité).
Par exemple : céder à la gravité et s’en extraire constituent une alternance de poids passif et de poids actif avec un flux libre (voir infra).
⁃ Le flux
Un flux libre la plupart du temps.
⁃ L’espace
Entendu ici dans le sens de l’espace en tant que facteur de la dynamique (et non celui de la kinésphère qui appartient à la catégorie Espace), celui-ci est caractérisé ici par une intention directe qui n’enferme pas la dynamique.
Le facteur temps est plus secondaire et constitue une résultante et le continuum de la danse. Il reste dans le spectre médian des polarités (bien que peu visible mais présent dans sa polarité soudaine au moment des prises d’élan et repoussés).
Proposition : Explorer des qualités d’effort à partir des deux polarités du poids actif (de ferme à doux) et du flux (de contrôlé à libre).
Explorer la sensation du poids passif (s’abandonner ou repousser son poids avec plus ou moins de force de propulsion).
Jouer avec des variations dynamiques de poids actif, passif et de flux.
L’espace
L’espace général du plateau est parcouru dans sa totalité avec des traversées latérales de cour à jardin ou diagonales. Il n’y a pas de déplacement de fond vers l’avant-scène.
Dans la danse de Trisha Brown l’intention du mouvement peut parfois dépasser les limites de la kinésphère. Ici, l’écriture spatiale est globalement médiane, les membres supérieurs et inférieurs produisant des effets de balancier (contre tension spatiale) le plus souvent organisés dans les plans sagittal et frontal. L’espace haut est peu exploré.
Les mouvements sont essentiellement périphériques et transversaux (traversant les trois plans de la kinésphère) et plus rarement centraux (partant du centre vers la périphérie ou inversement).
Proposition : Explorer la kinésphère avec des trajets périphériques et transversaux initiés par différentes parties du corps en jouant avec les combinatoires poids et flux évoqués précédemment.
Phrasé
Lire et écouter le phrasé est très utile pour aborder l’apprentissage d’une variation et particulièrement comme ici où, en l’absence d’accompagnement musical, celui-ci est accessible à travers la partition sonore générée par les pas et la respiration de la danseuse.
Le phrasé est susceptible de varier d’un interprète à l’autre, en fonction des connexions corporelles, des mobilités articulaires et de la relation que chaque interprète entretien avec la gravité et l’élan.
Notons l’importance d’identifier les phrases chorégraphiques (très lisibles ici car organisées en une succession de préparations/actions/récupérations/transitions) leurs éventuels tuilages et d’en dégager les moments accentués (temps de rebond, d’impulsion et de résonance de suspension et de déséquilibre).
Ce sont les dynamiques qui sous-tendent la forme dans la danse de Trisha Brown. Les combinatoires de flux et le poids soutenus par la respiration entrent en synergie et produisent les phrases de mouvement en relation avec les intentions spatiales.
Ainsi l’interprète doit-il, plutôt que de tenter de produire une forme, jouer avec ces éléments tout en prenant le risque de se laisser surprendre. Pascale LABORIE