Ce contenu contient des scènes pouvant choquer un public non averti.
Souhaitez-vous tout de même le visionner ?
Plexus
Aurélien Bory a créé une pièce sur mesure pour l’interprète japonaise Kaori Ito. On suit à la trace le périple d’une femme qui lutte contre les éléments pour mieux s’y dissoudre finalement – Rosita Boisseau.
Plexus, vient du latin de basse époque et signifie « entrelacement ». Dans sa signification anatomique plus tardive, il prend le sens de « réseau de nerfs ou de vaisseaux ». ce mot indique alors à la fois le mécanisme intérieur du mouvement musculaire, influx nerveux et sang oxygéné, et la mécanique extérieure de la danse, entrelacements de gestes, de déplacements, de corps ou de parties du corps. pour la deuxième fois, j’ai voulu faire le portrait d’une femme, non pas comme on le ferait en peinture, en photographie ou en littérature, arts largement supérieurs dans cet exercice, mais en utilisant le corps et l’espace en tant qu’uniques prismes. et la danse comme première optique.
Faire un portrait de Kaori ito à partir des moyens du plateau a été avant tout pour moi un processus. le dispositif scénique n’était pas une idée de départ. Je l’ai défini après plusieurs semaines de répétitions. pour les premiers jours, au milieu d’autres matières, j’avais fait fabriquer une marionnette à fils à l’effigie de Kaori ito, un double très réaliste grandeur nature. « Voici ton professeur de danse » lui avais-je déclaré. Kaori a passé beaucoup d’heures à l’observer et suivre littéralement ses mouvements. et de ce travail je n’ai gardé que les fils, en les déployant dans tout l’espace. la marionnette est restée dans le corps de Kaori.
Des fils j’ai composé un espace palpable, vivant, d’où un drame métaphysique a émergé. avec de forts liens avec le Japon. Je n’ai bien sûr pas voulu faire « japonais », mais Kaori vient avec son histoire, mesure aujourd’hui son éloignement. Je ne voulais pas m’en détourner. certains mythes du Japon, certains motifs récurrents, sont revenus. D’un côté, l’idée du lien avec les ancêtres et avec les morts. D’un autre un rapport à la beauté, associée à l’ombre, à l’effacement, à la disparition. Plexus se déploie de l’intérieur, du corps, de cet endroit anatomique précis, de ce réseau nerveux qui est un point de vulnérabilité, jusqu’à l’extérieur, l’espace, un réseau de fils, rappelant l’étymologie du mot plexus.
la dramaturgie s’étend alors du tout-intérieur, d’avant la vie, au tout-extérieur d’après la mort, où le corps disparaît, se confond et où l’être rejoint le mythe. J’ai espéré que la danse de Kaori ito entravée parfois jusqu’à l’immobilité par un espace impossible à danser, puisse nous donner un accès à ce dialogue entre monde intérieur et monde extérieur.
Après la première au Théâtre Vidy-lausanne, une journaliste me rappela qu’isadora Duncan avait déclaré qu’après les longues séances d’immobilité qu’elle s’infligeait, elle avait localisé le ressort central de tout mouvement à l’endroit du plexus. « The solar plexus lifted the body up, towards the au-delà ».
Source : Aurélien Bory, novembre 2013. Programme Maison de la Danse