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Salves
Pièce manifeste, politique au sens fort, « Salves » est une suite d’images jusqu’au-boutistes, de flashes arrachés à l’obscurité, qui donnent à voir la folie du monde, sans répit.
Pour sa dernière création à la direction du Centre Chorégraphique National de Rillieux-la-Pape, Maguy Marin a frappé un grand coup avec Salves lors de la dernière Biennale. Pièce manifeste, politique au sens fort, Salves condense d’un coup magistral son parcours et son extraordinaire vision de l’art chorégraphique. Une pièce au chaos millimétré, une immense partition rythmique pour sept interprètes et collaborateurs de longue date d’une précision scénique époustouflante et qui distille une immense violence conte- nue. Umwelt, Ha ! Ha !, Turba, Description d’un combat, aujourd’hui Salves : les pièces récentes de Maguy Marin peuvent être dérangeantes, elles sont nécessaires, dans ce qu’elles montrent et ce qu’elles affirment, à partir d’un présent perçu comme champ de ruines légué par les grandes catastrophes collectives du XXe siècle.
« Lorsque j’ai entamé cette nouvelle pièce, il m’est revenu à l’esprit ce qui pour Turba nous a enthousiasmé dans le De rerum natura1 de Lucrèce : les atomes déclinent perpétuellement, mais dans leur chute, ils font à un moment un écart dans leur course, le clinamen. Il suffit qu’un atome bifurque légèrement de sa trajectoire parallèle pour entrer ainsi en collision avec les autres d’où naîtra un monde, l’invention d’une forme nouvelle qui peut donner lieu à des conséquences inouïes. De même, au sujet de la parabole de Franz Kafka sur laquelle s’appuie notre dernière pièce Description d’un combat, Hannah Arendt écrit que l’homme ouvre par sa présence une brèche dans le continuum du temps entre passé et futur faisant ainsi dévier les forces antagonistes très légèrement de leur direction initiale en créant une force diagonale qui ressemble à ce que les physiciens appellent un parallélogramme de forces.
Faisant allusion à la « perte de l’expérience » de Walter Benjamin provoquée par la répétition des catastrophes collectives du XXe siècle qui ont transformé le présent en un champ de ruines dépourvu d’inscription dans l’histoire, c’est-à-dire sans mémoire ni devenir, Georges Didi-Huberman nous propose dans son livre, Survivance des lucioles « d’élever, dans chaque situation particulière, cette chute à la dignité, à la beauté nouvelle, en faisant de cette pauvreté même une expérience selon la leçon de Walter Benjamin pour qui déclin n’est pas disparition. » Il faut « organiser le pessimisme » disait Walter Benjamin. Travailler donc à faire surgir ces forces diagonales résistantes, sources de moments inestimables qui survivent à l’oubli, ces voix qui, du fond des temps, nous font signe. Travailler notre pessimisme et nos peurs et ainsi échapper à celle, ambiante, qui nous écrase et nous rend impuissants, tristes et fourbus. Cela, avec l’accompagnement de 7 interprètes, complices des créations antérieures. »
Source : Maguy Marin – programme Maison de la Danse