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Exit / Exist
Dans Exit / Exist, Gregory Maqoma, danseur sud africain « invente » la figure d’un chef tribal du XIXe siècle, héros de la lutte anti-coloniale.
Dans un voyage initiatique, le chorégraphe sud africain, Gregory Maqoma, explore la mémoire de son lointain ancêtre, chef rebelle de l’ethnie Xhosa.
Si chacun est dépositaire d’une lignée de souvenirs et d’histoires, certains corps, plus que d’autres, en gardent trace. Avec Exit/Exist, qu’il a conçu sous la direction de James Ngcobo, le chorégraphe sud africain Gregory Maqoma le prouve d’abondance. Un travail à couper lesouffle, associé à une remarquable composition musicale de Simphiwe Dana, tiré de l’histoire de Jongumsobomvu Maqoma, l’un des plus renommés chefs Xhosa, né en 1798, arrêté alors qu’il sommait les colons anglais de libérer les terres Xhosa et mort en prison en 1873. Maqoma est considéré comme un « facteur de transformation historique ». Mais plutôt qu’une leçon d’histoire, au strict sens du terme, le spectacle de Gregory Maqoma est un voyage sensible, en exploration de la mémoire.
Dos au public, vêtu d’un costume soyeux, dansant sur la base lancinante et grave du guitariste Giuliano Modarelli, Gregory Maqoma semble laisser surgir de lui même la mélodie, qui devient progressivement un rythme corporel. Chaque penséé devient alors un mouvement incarné, clair et précis, ciselé dans l’espace. Les épaules, les hanches, les mains ou les jambes deviennent les instruments d’un corps orchestre qui invente sa propre partition. Lorsqu’arrivent sur scène les chanteurs, Bubele Mgele, Linda Thobela, Happy Motha et Bonginkosi Zulu, Gregory Maqoma épouse progressivement des lignes rythmiques plus traditionnelles.
Maqoma, le danseur contemporain, devient alors Maqoma, l’ancestral chef Xhosa.
Extraordinaire glissement d’identité qui remonte le fleuve de l’Histoire. Dans la métamorphose, il sait se faire animal, jeune taureau dont les attributs évoquent la virilité du chef guerrier, autant que l’importance du bétail dans la vie pastorale des Xhosa. En occupant leurs terres, comme en sacrifiant inutilement le bétail, la puissance coloniale d’alors détruisait les bases mêmes de la nation Xhosa. La transe traduit d’une façon extrêmement évocatrice cette « perte » de pouvoir autant que d’identité. L’image finale du chef vaincu et brisé, fer aux pieds, exilé de sa terre natale, est particulièrement éloquente. Et lorsque se termine la pièce sur cette lancinante question, « où est le troupeau », on ne sait pas s’il s’agit d’animaux ou d’êtres humains…
Cet hommage vibrant aux ancêtres, par une reconnaissance de leur lutte qui n’aura pas été vaine, devient alors, ô combien, une leçon d’histoire au sens noble du terme.
Robyn Winlo
Source : Le Dôme Théâtre