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Cantieri

Chorégraphie
Réalisation
Gwenael Cohenner
Année de réalisation
2002
Année de création
2002

Créée au printemps 2002, cette pièce est forgée par le sol de Palerme, où la compagnie a travaillé durant deux mois de résidence. Elle constitue « un chantier de mémoire et d’utopie » en résonnance avec l’espace méditerranéen.

Première création de Catherine Diverrès à l’étranger depuis la création d’ « Instance » au Japon en 1983, la pièce « Cantieri » — « chantiers » en italien — naît au cours d’une résidence à Palerme au printemps 2002 (avril-mai) aux entrepôts des Cantieri alla Siza, friche artistique hébergée dans d’anciens ateliers industriels en bordure de la ville. Le processus de création se poursuit au Centre chorégraphique national (CCN) de Rennes à partir de juin, et la pièce est présentée au Théâtre national de Chaillot en octobre 2002.

Catherine Diverrès provoque cette résidence à l’étranger pour décadrer sa compagnie du Centre chorégraphique de Rennes et la confronter à « une nouvelle expérience de travail » autour de la rencontre et de l’échange : « Cela signifie s’inscrire dans une ville, y vivre au quotidien, rencontrer les artistes qui y travaillent, appréhender de nouveaux espaces, fréquenter d’autres lieux. (…) Que fait-on aujourd’hui de l’expérience de la rencontre physique avec un espace, une culture, une personne ? Quels sont les gestes qui nous relient, que devient la dimension du travail et de l’échange ? Quelles sortes de liens et d’engagement nous rapprochent et nous séparent ? » Avec Palerme, Catherine Diverrès fait le choix du bassin méditerranéen, dans lequel elle voit le berceau de la culture humaniste et de nombreuses valeurs de la civilisation européenne.

« Cantieri » met en scène douze danseurs issus de pays différents : France, Italie, Espagne, Brésil et Japon. Quatre font partie de la compagnie de Catherine Diverrès. Son titre, au-delà de la référence explicite au site de création sicilien, veut insister sur deux autres idées recouvertes par le terme de « chantier » : un processus à l’œuvre dans la durée, l’ouverture d’une réflexion ici en l’occurrence sur l’espace méditerranéen, « un chantier de mémoire et d’utopie » tout autant que d’actualité.

Nourrie de lectures historiques et littéraires préalables (la chorégraphe cite Vittorino et Sciascia), ainsi que de visites et rencontres, la pièce juxtapose des tableaux restituant l’expérience sicilienne à la façon d’un carnet de voyage, en évitant de « dériver vers trop d’incarnation, au sens où l’être sur le plateau serait identique à l’être de la rue », mais en faisant le choix d’une évocation par le sensible et l’abstraction : « Je ne peux pas m’y résoudre. Aussi incarné, palpable, sensible et sensuel soit-il, il [l’être] doit être une ombre, un artifice, à ce moment-là plus encore que lorsqu’il danse. » [1]

Alors que la force des éléments (eau, terre, air, feu), « l’énergie tellurique » que la chorégraphe dit éprouver physiquement « rien qu’en marchant sur le sol sicilien » servent d’objets au travail de recherches et d’improvisations mené en studio, différents thèmes sont convoqués en évocation de l’île : la famille, la religion, les clans, la violence, la guerre, la séparation hommes-femmes, la gestualité du langage sicilien, les gestes en lien avec l’art tradionnel des puppi (marionnettes siciliennes), le tragique. Pour « trouver des correspondances entre les différents thèmes de réflexion et l’écriture chorégraphique » [2], la chorégraphe raconte s’être appuyée sur un texte du philosophe Empédocle « qui parle d’atomes et de conflits amour-haine » et développe une théorie selon laquelle « la haine est porteuse de dispersion et de démystification, tandis que l’amour, signifie unité et immobilité » [3]. « La structure de la pièce est élaborée à partir de cette dichotomie entre un espace éclaté, éparpillé, et un espace où le groupe fait corps » [4].

Pour la mise en scène, Catherine Diverrès annonce dès ses notes d’intention, son désir de renouer avec la grande machinerie théâtrale. Elle est aidée dans cette tâche par ses compagnons de travail habituels, le scénographe Laurent Peduzzi et la lumiériste Marie-Christine Soma, coutumiers depuis la fin des années 1990 d’exigences plus ascétiques : « Je souhaite explorer (…) le monde qui peut être féerique de la machinerie théâtrale. En regard d’un travail exigeant, sophistiqué et quelque peu « ascétique » sur les lumières et les scénographies épurées qui ont habité ces dernières années, je souhaite tenter un « essai » vers le monde de l’illusion théâtrale, sur un mode ludique sans pour autant sacrifier l’abstraction d’une écriture chorégraphique, la tension merveilleuse qu’elle est capable de soutenir et l’émotion qui s’en dégage. » [5]

Le dispositif qui en résulte est « un espace urbain en friche, tour à tour évidé, ciselé – voire saturé – par les matières, les images, la danse ou les lumières », selon les mots de la critique Irène Filiberti, dont le sol dur et doré est inspiré des lieux de la résidence : « Déployant les fastes de l’illusion théâtrale, la scénographie (…) saisit [des êtres fuyants et fantomatiques] en plein jeu, comme cet ange suspendu dans les cintres ou ces ombres chinoises, complotant derrière la toile avec les plus grandes voix du cinéma italien » [6]. La critique rapproche ce travail de confrontation de la danse à des espaces baroques et abstraits, aux recherches amorcées dès « L’Arbitre des élégances » créée par la chorégraphe en 1986.

La création sonore signée par Denis Gambiez reprend le même esprit et entremêle musiques et chants siciliens, voix du cinéma italien et bruits concrets (vrombissements d’avion, souffleries, cloches, bruits d’oiseaux, d’ambiance (rue, résonances de hall)…), le tout baigné dans la langue italienne et sicilienne.

En optant pour une évocation par le sensible, la pièce « Cantieri » veut aussi s’inscrire en résistance face à la situation politique délicate que connaît la création artistique en Italie. A l’image de l’espace d’échanges et de circulation que se veut la pièce, la résidence donne lieu à des « stages de formation sur la base des éléments constitutifs de sa technique et représentatifs de son écriture chorégraphique » et à une discussion-réflexion sur le thème « Etre debout » qu’accompagne une présentation des chorégraphes siciliens rencontrés (Emma Scialfa, Cinzia Scordia, Pucci Romeo, Alessandra Fazziono) : «  Avec ce temps de travail en Sicile, se tissent aussi patiemment des liens avec l’Italie continentale pour qu’un dialogue s’engage non seulement autour de la pièce à venir, mais avec des artistes, des critiques à partir d’ateliers et de débats. Dans ce moment politique difficile en Italie pour la culture et la création artistique, il nous semble important d’engager nos énergies dans la réflexion et la pratique à partir des singularités, des différences et la profonde cohérence qui unit ceux et celles qui travaillent la matière artistique. Donner des visages, des corps, des voix à cette Europe culturelle, non pas seulement à partir des idées mais des liens et lieux physiques, concrets, sensibles » [7].

Claire Delcroix

[1] C. Diverrès, « Cantieri, un processus », in « Cantieri », Rennes : Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne, [2002], p. 63.
[2] ibid, p. 49
[3] ibid.
[4] Claudia Palazzolo, « “Cantieri”, la matière, le temps, les traces. Un témoignage », in I. Filiberti, , « Catherine Diverrès : mémoires passantes », Pantin ; Paris : Centre national de la danse ; L’œil d’or, 2010, p. 132-139.
[5] Catherine Diverrès, « Cantieri », site internet de la compagnie, février 2014.
[6] Irène Filiberti, « Cantieri », Magazine du TNB, novembre-février 2003, p.
[7] Catherine Diverrès, programme des Cantieri alla Zisa pour « Cantieri aperti : rencontres, débat et présentation de travaux », 23-26 mai 2002.

EXTRAIT DE PROGRAMME

« Cantieri, c’est “chantiers” en italien, mais cela désigne aussi ce lieu d’entrepôts désertés proche du centre de Palerme où pendant deux mois Catherine Diverrès et sa compagnie ont travaillé à créer une pièce magistrale. « Cantieri » parce que la pièce traverse tous les états, convoque l’actualité d’une Sicile en crise, retrouve la mémoire fabuleuse d’un passé architectural aujourd’hui à l’abandon, l’exacerbation des sentiments jusqu’à leur théâtralisation, mais aussi la violence du clivage hommes/femmes hérité des structures sociales et familiales archaïques. “C’est pourquoi la chorégraphie débute par deux groupes, l’un constitué de femmes, l’autre d’hommes. Ils mettent des chaussures et ils marchent. Comment en réalité passe-t-on de l’idée de famille à celle de clan. Comment ces clans existent-ils sans que la vie quotidienne permette de s’en apercevoir. Leur présence agit sur l’espace et les comportements de façon diffuse, imperceptible”. Avec douze danseurs de nationalités différentes, Catherine Diverrès parvient à mettre un monde en marche sur le plateau du Corum [de Montpellier], sur un sol dur comme béton, qui aura la qualité, l’énergie tellurique du sol sicilien où “rien qu’en marchant on ressent la force des éléments”. La danse s’éprouve dans des ralentis qui ont la force du tragique, mais ne s’abstient pas pour autant de lancer des clins d’œil du côté de Fellini, dès lors la Sicile s’ouvre au reste de l’Italie, et c’est un peuple dans ses mouvements d’ensemble qu’embrasse l’ample chorégraphie de Catherine Diverrès »

Programme de saison 2003 de Montpellier Danse.

dernière mise à jour : mars 2014 

Chorégraphie
Réalisation
Gwenael Cohenner
Année de réalisation
2002
Année de création
2002
Lumières
Marie-Christine Soma assistée de Pierre Gaillardot
Musique
Jean-Sébastien Bach, Nino Rota, Denis Mercier et Estrella Morante
Autre collaboration
Créateur sonore Denis Gambiez
Interprétation
Ester Ambrosino, Julien Fouché, Carole Gomes, Marta Izquierdo Munoz, Osman Kassen Khelili, Isabelle Kürzi, Sung-Im Kweon, Tuomas Lahti, Fabrice Lambert, Filipe Lourenço, Thierry Micouin, Kathleen Reynolds
Scénographie
Laurent Peduzzi
Production vidéo
film de Thierry Micouin, avec Filipe Lourenço et Julien Fouché
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