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4+1 (little song)

Année de réalisation
2000
Année de création
2000

Dans cette pièce pour cinq danseurs créée en 2000, Catherine Diverrès explore le domaine de la légèreté et part en quête du « duende ».

A la suite de sa pièce précédente – « Corpus » (1999) – qui posait à ses yeux une borne à sa danse, Catherine Diverrès désire explorer le domaine de la légèreté.

Dans cette nouvelle pièce pour cinq danseurs (qui n’ont été que quatre pendant les six premiers mois de création, d’où « 4+1 ») créée à Rennes au Théâtre national de Bretagne en mars 2000, Catherine Diverrès adopte une forme de spectacle allégée, et un rapport plus intime au public : une proximité étrangère à ses oeuvres depuis « Fragment » en 1988. « J’ai eu envie d’aller vers une danse plus économe, à la fois du point de vue formel et scénographique » confie-t-elle lors d’une interview au Monde [1]. Evitant ainsi précautionneusement ce qu’elle désigne comme « logorrhée du mouvement », elle précise : « On a inventé autour d’une seule phrase de jambe, d’une seule phrase de bras, gardant en tête l’idée de faire vibrer le temps. Il faut qu’il ne reste que la magie que l’on ne peut nommer » [2].

Abandonnant la théâtralité qui structurait certaines de ses dernières oeuvres (« Fruits », « Corpus »), ainsi que la présence du texte déjà écartée depuis « Ces poussières », Catherine Diverrès amorce le travail de création de « 4+1 (little song) » par des séances d’improvisations inspirées de deux textes de F. Garcia Lorca [3] et de Roger Callois [4] au cours desquels les interprètes élaborent un matériau en commun. C. Diverrès y traque le surgissement du « duende » dont traite « Théorie et jeu du duende », notion qui sous-tend la pièce et qu’elle définit ainsi : « Le “duende” dont parle Garcia Lorca, c’est l’impalpable. C’est ce qui n’a rien à voir avec la technique. C’est un état. On l’a ou on ne l’a pas. » [5] Et plus tard : « Le “duende”, si l’on veut, c’est être au-delà de la forme. C’est un jeu qui est le plus grave des jeux, on pourrait dire que c’est l’attente d’une apparition… » [6]

La chorégraphe présente ses intentions en publiant ses notes de juin 1999 dans le dossier qui accompagne la création :

« Tendre vers une forme brève et trouver la concision d’une nouvelle
Aller vers. Venir à… Source du mouvement
Un coup de dés
Porter en acmé la pulsion dromique, celle-là même qui, à partir de notre verticalité repousse à l’infini la ligne d’horizon, tels ces navigateurs égarés qui parviennent à revenir pour raconter.
Pulsion de vie donc opposée à l’autre — Gravité physique
et non psychologique.

Garder cette fragilité et cette gourmandise ludique qu’ont les enfants
dans l’exploration de l’espace et de l’absorption d’eux-mêmes dans le jeu.
Dessin amoureux, liberté encore. Inassouvissement. Chevaucher le vent – Ombres flottantes…
Beauté traquée dans les coeurs, les gestes et les formes
Indéfinie, inachevée, inépuisable
remue le Duende »

Le thème de l’enfance, dont la presse s’est peut-être trop hâtivement saisi pour désigner l’élément central de cette nouvelle création, n’est en fait que secondaire : « La question de l’enfance est périphérique, c’est quelque chose qui est arrivé très tard, et cela ne forme ni la texture, ni la teneur de la pièce » [7] rappelle-t-elle dans un entretien paru dans Mouvement. C’est la façon dont les arts renouent avec cette naïveté de l’enfance qu’elle cherche avant tout à interroger plus que l’enfance elle-même.

La scénographie de Laurent Peduzzi renforce le parti-pris de simplicité voulu  par la chorégraphe : « Je trouve que l’on est allé très loin au niveau de la forme » [8] déclare-t-il. Constitué d’un plancher de bois et de pendrillons crème qui enveloppent scène et salle, l’espace dessiné évoque une piste de danse, un parquet de bal : « Il s’agit bien d’une piste. Quand on dit piste, on pense bal, cirque, mais aussi recherche, chemin. Le désir était de trouver la proximité, de faire de l’espace un lieu concret, le même pour le danseur que pour le spectateur. » [9] En dépit de sa grande sobriété, la scénographie est rapidement confrontée à des difficultés d’adaptation lors de sa tournée, et se voit réduite à « une scénographie amputée » : « Très peu de salles qui pourraient accueillir un dispositif de cet ordre ont à la fois le temps de montage possible, la logistique technique, les moyens de faire transporter un plancher et la possibilité de régler les problèmes de sécurité » explique Catherine Diverrès.

La bande son atteste de la même volonté minimaliste : la pièce se déroule dans un silence quasi-complet pendant les trois-quarts de sa durée interrompu de temps à autre par une courte musique, le son d’une télé retransmettant des images d’interventions policières et d’émeutes, ou encore les variations du saxophoniste Albert Ayler.

« 4+1 (little song) » est la première production depuis 1993 à ne pas bénéficier du soutien du Théâtre de la Ville. Son directeur, Gérard Violette, pourtant fidèle soutien du travail de la chorégraphe depuis 1993, s’en explique au journal Le Monde : « On a toujours eu des problèmes de fréquentation avec Catherine, je ne les ai jamais mis en avant. Mais pour “Corpus”, elle n’a pas voulu tenir compte de simples conseils de bon sens. Le public a très mal réagi. Donc je ne soutiens pas la prochaine création. » [10] 

Ce désengagement amène à s’interroger : quel fut son impact sur la production du spectacle ? Recèle-t-il l’origine de la radicale légèreté formelle crânement affichée comme recherchée ?

Claire Delcroix

[1] Dominique Frétard, « La danse indispensable de Catherine Diverrès », Le Monde, 9 mars 2000.
[2] Ibid.
[3] « Théorie et jeu du duende », 1930.
[4] « Les Jeux et les Hommes », 1958-1967.
[5] D. Frétard, ibid.
[6] Dominique Vernis, « Le tremblement de l’expérience contre l’aveuglement des images – entretien avec Catherine Diverrès », Mouvement, n°11, janvier-mars 2001, p. 57.
[7] Ibid.
[8] Ibid.
[9] Marie-Christine Vernay, « Jouer dans un souci de proximité », Libération, 15 février 2001.
[10] Dominique Frétard, « La danse indispensable de Catherine Diverrès », Le Monde, 9 mars 2000.

EXTRAITS DE PRESSE

« Tout ce qui est nécessaire à rendre publique la danse est là. Et ce n’est pas de l’économie pour de l’économie. La scénographie de Laurent Peduzzi est un vrai parti pris, qui privilégie le vide sans s’y perdre, laisse des sensations physiques. On entend terriblement le chant, la musique même de la danse. Chaque élan, aboutit à un arrêt, une suspension, pour reprendre de plus belle ; ces démarrages et calages rebondissent les uns sur les autres. Ce spectacle est construit comme une avalanche, un précipité de rebonds et de chutes, très étudiés. Tout commence avec la figure déambulatoire et fort raide d’un petit tambour et des scènes d’émeutes diffusées sur un écran télé. S’ensuivent des jeux d’enfant remontés d’une mémoire à vif, même dans l’obscurité. Les danseurs qui restent bel et bien adultes sont pris de désirs et de méchancetés. Rien ne leur résiste. Ils s’emparent du cinéma. Dracula est par exemple vaincu par une starlette qui croque dans une tomate fraîche. Ils jouent avec des objets quotidiens : des bassines pour un bain improbable, un chewing-gum qui favorise la frime, des chaises posées un peu n’importe où, des ardoises imaginaires où s’inscrivent les desseins amoureux, des yoyos de lumière, des nounours abandonnés, etc.

Dans cette danse, avec un bloc intense, monolithique, au centre du spectacle et sans musique, le quatuor +1 s’ébat dans les zones dangereuses de l’enfance grimaçante. Petites pestes et poisons mènent le bal ouvertement grinçant, émeutier. Le solo féminin, comme on en connaît chez Diverrès, de ceux qui rendent les femmes désirables, contient toute la passion du soulèvement. Retirée dans son grenier, Diverrès n’en reste pas moins percutante que dans ses projets plus spectaculaires. Et les danseurs en sortent magnifiés. »

Marie-Christine Vernay, « 4+1, très simple et très calculé », Libération, 21 mars 2000.

« Travail d’épure, 4 + 1 (little song) n’est accompagnée d’aucune musique ou plutôt ce sont les corps qui la compose. Une seule phrase de jambe, une seule phrase de bras, repris successivement par tous les danseurs, composent le refrain de la pièce, la ritournelle du mouvement. Le rythme est orchestré par la chute des corps. Comme les silences en musique, ou la ponctuation en littérature, l’arrêt impromptu des mouvements scande la pièce. Pour Catherine Diverrès, « les chutes des danseurs sont comme des points. Après ces points une nouvelle phrase commence ». Chaque danseur interprète le mouvement central. Pourtant chaque mouvement est singulier, la phrase répétée est le support d’une improvisation qui trouve sa source dans les gestes, mimiques ou jeux, de l’enfance. Les danseurs ont sondé leur mémoire corporelle pour exhumer les souvenirs des gestes ludiques. Mémoire subjective mais esquisse aussi d’une mémoire en partage, celle des contes, des cours de récréation. Par la familiarité qu’elle suscite, cette gestuelle constitue en même temps la grammaire, la règle du jeu de la pièce : les danseurs peuvent jouer ensemble pour et avec le spectateur, en connivence. Le partage et la possible communauté du geste ne naissent pas tant des corps singuliers que de l’entente intuitive des corps. 4 + 1 (little song) est née d’un travail d’improvisation autour du texte de Garcia Lorca, Le jeu du Duende. Le Duende est ce qui ne s’apprend pas, qui ne se répète pas mais passe pourtant comme impalpable dans le geste. L’élaboration précise de la structure chorégraphique permet seule cet espace improbable d’échange qui complète la composition. L’intimité des corps ne se trouve pas dans la communauté d’une gestuelle exécutée de concert. Au contraire, c’est par l’exaspération des gestuelles singulières qu’elle apparaît, dans la partition complexe qui se dessine alors. »

Léa Gauthier, Mouvement, n°11, janvier-mars 2001, p. 57

dernière mise à jour : juin 2014

Chorégraphie
Réalisation
Année de réalisation
2000
Année de création
2000
Lumières
Marie-Christine Soma assistée de Pierre Gaillardot
Autre collaboration
Son : Denis Gambiez
Interprétation
Carole Gomes, Osman Kassen Khelili, Nam-Jin Kim, Isabelle Kürzi, Fabrice Lambert
Production de l'œuvre vidéo
TV Rennes
Scénographie
Laurent Peduzzi
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