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Tauberbach
Tauberbach est l’histoire d’une femme écorchée. Une femme qui mène sa vie à l’intérieur de sa tête mais qui, au fur et à mesure, découvre son corps. L’histoire d’une résistance et d’un environnement qui peut la démolir. De la vie qui continue.
Un jour, Alain Platel reçoit un CD de musique de Bach chantée par un chœur de sourds. Cette musique ne l’a plus lâché depuis, sans doute parce qu’elle porte en elle deux de ses grands amours : Bach, de loin son compositeur favori et la langue des signes. Bach, Platel l’avait contemplé dans Iets op Bach (1998) et dans pitié ! (2008). Avec le spectacle Wolf (2003), il avait introduit deux acteurs sourds et exploré leur relation avec la musique. Quelqu’un qui ne sait pas qu’il écoute de la musique chantée par des sourds, ne comprend pas ce qu’il lui arrive. La gêne, le malaise, l’envie de rire se disputent la priorité. Mais Alain Platel décèle, comme personne d’autre, la beauté dans cette cacophonie, comme il la repère souvent dans ce qui est qualifié de laid, de déviant, de discordant, dans ce qui est souvent appelé une maladie ou un syndrome : les spasmes, les crampes, les convulsions… toute la gamme de tensions musculaires hors du commun. Platel force les gens de regarder différemment, d’écouter différemment. Le spectacle Tauberbach s’est inspiré également du film documentaire Estamira de Marcos Prado, un portrait pénétrant d’une femme brésilienne qui, depuis vingt ans, vit sur un dépotoir près de Rio de Janeiro. estamira est schizophrène et gravement abîmée par la vie, mais, malgré ou grâce à son aliénation mentale, elle est une personnalité charismatique porteuse d’idées philosophiques. Derrière sa psychose et ses traumatismes se cache une logique intérieure implacable. Estamira a inspirée le décor, la plus grande partie du texte et le jeu de l’actrice Elsie de Brauw. Les danseurs sont ses co-habitants dans cet environnement apocalyptique. Ici, phrases courtes et mouvements saccadés ne sont que de vagues références à une civilisation perdue. Depuis Bonjour Madame jusqu’à Wolf, Platel a voulu représenter notre monde avec ses diversités, sa multi-culturalité comme on dit, et il s’est entouré d’une équipe d’origines et de formations artistiques très diversifiées pour y donner expression. Depuis vsprs (2006), son œuvre intériorise, touche au plus profond, le spectacle devient plus expérience que représentation. Ce Tauberbach s’ajoute à cette galerie comme une initiation, un bizutage, un baptême, une immersion et par conséquent comme une guérison.
Source : Hildegard de Vuyst, dramaturge
Ceci n’est pas une pièce de théâtre. Mais il y a des personnages, ou plutôt des identités, des êtres, des créatures. Il y en a même un qui a un nom : Estamira. Elle parle constamment. Pour elle, parler c’est survivre. elle parle avec les voix dans sa tête, avec une voix au-dessus de sa tête. Estamira est hantée par sa biographie, par son combat journalier dans un monde où vivre et survivre sont devenus la même chose. Elle essaie d’exorciser l’énergie négative qui s’est entassée en elle en récitant une série infinie de formules. Estamira se sert d’un langage qu’elle a fabriqué elle-même. Les premières lettres sont « PTG ». Elle parle cette langue quand elle fait appel à une source invisible. « Elle téléphone à Dieu », comme dit Alain Platel. La langue PTG en dit long sur sa volonté de survivre, sur sa solitude. elle seule comprend ses questions. Les réponses ne sont que les reflets de ses propres besoins. Alain Platel utilise l’histoire d’Estamira et son univers pour raconter une autre histoire : celle du théâtre parlé, de la danse et de leur rencontre. Tauberbach est l’histoire des gens qui veulent se détacher des codes et le corps joue un rôle essentiel dans ce processus. Au cours des répétitions, un sujet de discussion était la nudité sur scène, et la gêne est devenue un fil rouge du spectacle. La gêne n’infériorise pas nécessairement l’homme, elle peut mener à la beauté et la conscience de soi. Lorsque Estamira envisage le monde, elle le vit comme un monde sans gêne, où il n’y a ni règle ni moralité. Jusqu’au moment où elle voit deux êtres qui s’adonnent à une parade nuptiale. Elle est témoin d’un événement qui dépasse -par son authenticité- toute question de moralité. Tauberbach est l’histoire d’une femme écorchée. Une femme qui mène sa vie à l’intérieur de sa tête mais qui, au fur et à mesure, découvre son corps. L’histoire d’une résistance et d’un environnement qui peut la démolir. De la vie qui continue.
Source : Koen Tachelet, dramaturge