Ce contenu contient des scènes pouvant choquer un public non averti.
Souhaitez-vous tout de même le visionner ?
Effroi
Enregistré au CND le 22 novembre 2005
« Qu’est-ce qu’être entier et l’identité est-elle une et indivisible ? », s’interroge Sylvain Prunenec. Depuis 1998, ce doute irrigue la recherche du chorégraphe. Passée au crible de l’expérimentation, la cohérence supposée du corps révèle d’insoupçonnables interstices. Le mouvement alors se délie et se décompose, ses mécanismes habituels sont déroutés. L‘unité du corps tombe en morceaux, ouvrant sur un territoire de possibilités, un monde à naître.
Au détour de cette exploration, Prunenec a trouvé des échos à ses préoccupations dans plusieurs récits mythologiques traitant du corps démembré. Mais certains épisodes du mythe d’Orphée ont éveillé en lui des résonances singulières, notamment le moment final où la tête coupée d’Orphée dérive au fil de l’eau en continuant de chanter. La voix ici revêt une importance extrême : elle est la manifestation ultime et subtile de cette continuité identitaire dont le corps disloqué ne peur plus témoigner.
Si « Effroi » teste le mouvement aux limites de l’éclatement, les différents états de la danse sont noués les uns aux autres par la voix de Prunenec, portant les poèmes de Célia Houdart, et par l’intensité de la musique électronique, jouée live par le compositeur Fred Bigot.
Jeu existentiel entre dispersion et recomposition « Effroi » pose sans cesse la question du territoire. Territoire intime du corps, exploré comme une cartographie fluctuante des chemins internes, toujours à reconfigurer. Mais aussi territoire extérieur. Sylvain Prunenec a fait appel à la scénographe Élise Capdenant pour construire un espace de la mesure – ou de la démesure – du corps.
Sorte de carte inscrite au sol, le décor imaginé par Capdenant revêt mille connotations. Baigné dans les lumières de Gilles Gentner, le danseur y apparaît minuscule, accroché sur les courbes de niveaux d’une carte immensément agrandie. Mais n’est-ce pas plutôt un cerveau vu en coupe qui accueille les évolutions d’un Prunenec atomisé ? À moins que sa danse ne s’enroule et ne se déroule autour d’une forme sans âge – coquille, fossile ou matrice ? Un dialogue se tisse entre territoires externe et interne, chacun mesurant et modulant la perception de l’autre, en une réinvention continuelle.
Annie Suquet
Dernière mise à jour : mars 2010